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quatre ans, ont fait à peu près tout ce qu’ils disent, tout ce dont ils tirent vanité dans l’énumération flatteuse de leurs actes. Ils ont décrété des invalidations dans le parlement et réclamé avec âpreté des épurations administratives. Ils ont soutenu la politique de l’article 7 et des décrets, ils ont poussé jusqu’à la manie la sécularisation de toute chose, des établissemens de bienfaisance et des écoles, sous prétexte de faire la guerre au cléricalisme. Ils ont voté tout à la fois des dégrèvemens et des emprunts dans les finances. Ils ont voulu toucher à la magistrature comme aux lois militaires. S’ils n’ont pas abordé et résolu toutes « les questions imaginables, » comme on l’assure dans un langage d’une élégance un peu baroque, ils ont du moins entrepris bien des œuvres qu’ils laissent inachevées. Oui, ils ont fait ce qu’ils disent, et tout cela, malheureusement, ne représente pour le pays comme pour les esprits réfléchis qu’un ensemble assez confus, une politique sans cohésion et sans précision. Voilà ce qu’il y a de plus clair à cette « heure des adieux » dont on parle, au moment où finit une législature, où disparaît une assemblée née de la crise de 1877, et où la France, selon le mot de M. le président de la chambre des députés, est appelée « à ses grandes assises. »

Que les partis arrivés au pouvoir, enivrés par le succès ou par des apparences de succès, ne se rendent pas toujours compte de ce qu’ils font et prennent des intentions pour des réalités, c’est possible, cela se voit assez souvent. Lorsque les représentans de la gauche, et il y en a certes de distingués, racontent leurs actions ou leurs campagnes, lorsqu’ils parlent de leur indépendance et de leur désintéressement, du rôle pondérateur qu’ils se flattent d’avoir joué, de l’esprit de modération et de gouvernement qu’ils ont montré, ils sont évidemment sincères. Ils croient avoir été le parti à la fois réformateur et modérateur de la république. M. le président du conseil, qui est un des représentans de la gauche au pouvoir parlait récemment, lui aussi, dans son discours d’Épinal, de ce qu’il appelait la « politique modérée ; » il se faisait honneur de résister aux impatiences du radicalisme, de n’accomplir que des réformes sérieuses, inspirées par l’expérience. La difficulté est malheureusement de saisir en quoi consistent cette « politique modérée » dont a parlé M. le président du conseil et cet esprit de gouvernement dont la gauche croit avoir recueilli la tradition au profit de la république. Qu’on ne se paie pas de mots. La vérité est que les républicains arrivés aux affaires il y a trois ans, dans un moment de crise, entrés presque à l’improviste en possession du gouvernement, des ministères, de toutes les influences officielles, ont été un peu surpris et étourdis de leur fortune. Ils ont eu sans doute cette préoccupation de « faire preuve de sagesse, » comme on le dit, d’éviter des excès trop crians qui auraient pu provoquer une réaction de tous les instincts