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M. Bocher, M. Buffet, M. Caillaux, à qui ont répondu M. le ministre des finances, le rapporteur du budget, M. Varroy, même un peu M. de Freycinet, — et cette discussion rapide, précise, substantielle a été certes des plus instructives. Elle a servi à remettre la réalité à côté de beaucoup d’illusions, à laisser entrevoir le danger de ces combinaisons un peu démesurées auxquelles on s’abandonne trop aisément, dans un intérêt de popularité, pour montrer que la république, elle aussi, peut suffire à toutes les entreprises, à toutes les dépenses. Assurément il y a des faits qu’on ne peut méconnaître, et le premier de ces faits est la prospérité financière de la France, prospérité manifestée par l’abondance des ressources, par la fécondité du crédit, par une inépuisable élasticité de production et d’impôts qui dépasse sans cesse les prévisions. Que cette prospérité financière soit l’œuvre de la république ou qu’elle soit due à une multitude d’autres causes, peu importe : elle existe. Il est certain aussi que, lorsqu’il s’ ; git des finances d’un grand état, on ne peut pas procéder avec l’étroite et méticuleuse économie d’un chef de famille administrant une fortune privée. Il y a des engagemens d’avenir, des charges qu’il faut savoir accepter avec confiance. Tout cela est vrai. Il n’est pas moins évident que, même dans l’administration des finances les plus prospères, même en admettant une certaine largeur de procédés qui peut convenir à la fortune d’un état, il y a des conditions essentielles, des règles sévères dont on ne peut se départir impunément, et ce n’est pas sans raison que M. Thiers autrefois demandait à un ministre des finances une certaine « férocité. » La première loi est de se défendre des confusions, des illusions, des combinaisons aventureuses, des mirages et des faux calculs dans la composition d’un budget, et c’est sur ce point justement que la discussion serrée, pressante de M. Bocher a porté l’autre jour une vive lumière. Que faut-il en définitive pour qu’un budget soit bien établi, réellement équilibré ? Il faut que ce budget vive de ressources qui lui soient propres, que les dépenses régulières, permanentes soient couvertes par des recettes normales, également permanentes. S’il n’en est point ainsi, si le budget ne se soutient qu’avec l’aide des excédens des anciens exercices ou avec des ressources exceptionnelles, toute vérité disparaît. C’est précisément ce qui arrive aujourd’hui ; M. Bocher l’a supérieurement démontré. Qu’en résulte-t-il ? C’est que, même au milieu de cette exubérance de richesse dont on s’enorgueillit parfois trop complaisamment, le déficit reste une éventualité toujours redoutable. L’équilibre n’est qu’une fiction, et ce qui achève de tout compliquer ou de tout obscurcir, c’est la confusion incessante, presque systématique, des dépenses ordinaires et des dépenses extraordinaires, c’est le rôle grandissant de l’emprunt dans un budget qui dépasse trois milliards !

Le point le plus grave et le plus caractéristique de notre situation