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des vieux préjugés, résistaient ; Claude leur répondit. Tandis que, suivant l’habitude des historiens de l’antiquité, Tacite a refait le discours du prince, pour le placer dans ses Annales, les Lyonnais, touchés de l’honneur que Claude leur avait fait en prenant leur défense, allèrent chercher la harangue véritable dans les procès-verbaux du sénat et la copièrent. Nous sommes donc sûrs d’avoir les paroles mêmes de l’empereur, comme elles avaient paru dans le journal officiel de l’empire. Quel singulier orateur que ce prince fantasque ! Il se perd à chaque instant dans des digressions érudites, il s’oublie à dire des injures aux gens qu’il a fait mourir, puis il s’adresse la parole à lui-même, comme font les méridionaux, pour s’encourager à révéler toute sa pensée. Assurément Tacite lui a rendu service en lui prêtant sa belle éloquence. Pourtant le véritable discours est bien curieux ; et, quand il n’aurait pas d’autre mérite, par les divagations mêmes dont il est plein, par ce mélange de sens et de déraison, il nous fait comprendre l’homme et nous explique son règne[1].

Arrêtons-nous un peu plus longtemps dans la salle suivante, la dix-neuvième, qui contient des monumens religieux très curieux à étudier. Ils peuvent nous aider à résoudre des questions fort obscures et qu’on a beaucoup discutées. Nous ne savons presque rien de l’ancienne religion des Gaulois. César lui a consacré deux ou trois chapitres de ses Commentaires ; quelques historiens, quelques poètes du Ier siècle en disent un mot en passant : c’est peu de chose pour la connaître. Il n’en subsiste aujourd’hui aucun monument authentique antérieur à la conquête ; tous ceux que nous possédons sont du temps de l’empire, il n’y en a pas d’autres au musée de Saint-Germain, mais ceux-là sont en assez grande quantité. Voilà d’abord qui est fait pour surprendre. Une opinion fort répandue, et que de graves historiens ont consacrée en l’adoptant, prétend que l’empire a persécuté la religion gauloise et que les princes ont fait « des lois barbares » pour la combattre. Comme cette opinion contredit tout ce que nous savons de la politique ordinaire des Romains, nous pouvons affirmer, à première vue, qu’elle doit être fort exagérée. Il n’est pas dit, en effet, dans les auteurs sur lesquels on s’appuie, que Rome ait combattu la religion des Gaulois en général, mais ses prêtres, ce qui n’est pas la même chose ; ils mentionnent

  1. Une inscription, qu’on a trouvée en 1869, près de Trente, contient un édit de Claude. Il l’avait évidemment rédigé lui-même, et l’on y reconnaît sa façon d’écrire et de raisonner. Il y parle de ses prédécesseurs avec un sans-gêne fort singulier chez un souverain. Il fait allusion à la manie qu’avait son oncle Tibère de vivre toujours loin de Rome, et rappelant une action assez sage de son neveu Caligula, il fait remarquer que cette fois au moins il n’avait pas été trop sot : non stulte quidem.