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Palestine, et si l’on n’était prévenu, on ne soupçonnerait pas un instant que cette grosse bourgade a renfermé le berceau de Dieu. Néanmoins sa population est intéressante à étudier. De tous les habitans de la Palestine, les Bethlémitains passent, avec raison, pour les plus intelligens, les plus actifs, les mieux doués moralement et physiquement. Ce sont eux surtout qui cultivent l’industrie des objets pieux, et l’on ne saurait trop louer l’habileté et parfois le goût avec lesquels ils taillent la nacre, la sculptent, la cisèlent, en composent des croix, des chapelets, des coquilles de pèlerins, etc. Ils émigrent avec une grande facilité, reviennent ensuite dans leur village porteurs d’une petite fortune, construisent des maisons confortables et vivent dans un luxe relatif qu’on ne rencontre pas au même degré dans le reste de la Palestine. Ils ont un grand désir de s’instruire. Ils sont très causeurs et tâchent de tirer parti des voyageurs qui passent chez eux pour recueillir quelques renseignemens utiles, quelques notions précieuses sur les pays étrangers. Beaucoup savent notre langue ; tous voudraient la savoir. Ils s’étaient cotisés, il y a peu de temps, pour faire venir à leurs frais un professeur de français, chose absolument inouïe en Orient, où l’on aime beaucoup l’instruction quand elle se présente d’elle-même et sans frais, mais où personne ne la cherche au loin et ne travaille à l’acquérir à prix d’argent. Leurs mœurs sont celles d’un peuple qui aspire à se civiliser. Heureusement cette aspiration ne les a pas encore poussés à abandonner leurs costumes, les plus gracieux et les plus originaux de la Palestine. Les femmes de Bethléem sont généralement belles ; j’en ai aperçu quelques-unes qui auraient inspiré partout une vive admiration. Elles portent des robes bleues largement échancrées sur la poitrine et brodées tout autour des seins de la manière la plus élégante et avec des couleurs d’une charmante variété. Mais la partie la plus originale de leur toilette est certainement l’espèce de casque couvert de médailles et de pièces d’argent qu’elles gardent nuit et jour sur la tête. On les habitue dès leur enfance à ce lourd fardeau. Il paraît d’ailleurs qu’elles finissent par le trouver léger, car on raconte qu’elles regardent leur casque comme un remède contre la migraine : lorsqu’elles éprouvent quelques pesanteurs de tête, elles augmentent le nombre des médailles et des pièces de monnaie dans l’espoir de se guérir plus rapidement. Le casque des femmes constitue proprement leur dot, dot peu utile au mari, qui ne saurait y toucher que dans les occasions les plus graves et en cas de ruine complète, mais qui cependant flatte sa vanité. C’est d’ailleurs un ornement qu’on n’expose guère aux regards du public, car chaque fois que les Bethlémitaines sortent de leurs maisons elles s’enveloppent d’un grand