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Si exagérée que fût la flatterie du peintre flamand, Elisabeth ne dut pas la trouver trop au-dessus de l’opinion qu’elle s’était faite de sa propre personne. C’est par cette inconsciente et puérile vanité que cette femme qui a fait l’Angleterre si grande, qui par momens était si digne, si vraiment reine, s’est-elle-même un peu amoindrie. « C’était souvent plus qu’un homme, a dit d’elle le marquis de Salisbury, et souvent moins qu’une femme. » Si elle s’est laissé si facilement diviniser, la faute en est à cette foule d’adulateurs et de galans intéressés qui l’accablaient de leurs hommages et l’encensaient à qui mieux mieux. Sir Walter Raleigh, l’aventureux marin, le brillant littérateur qui un jour étendit devant elle son manteau de cour pour ne pas la laisser marcher dans la fange, Raleigh écrivait en souvenir d’elle : « J’avais la douce habitude de la voir monter à cheval comme Alexandre, chasser comme Diane, jouer de la lyre comme Orphée. » C’est aussi par les plus outrées protestations qu’Essex s’attira et retint si longtemps sa faveur. Ni Arundel, qui se ruina pour elle, ni l’ambassadeur sir William Pickering, dont elle prisait la belle mine et les grandes manières, ni Hatton, dont elle s’éprit comme danseur un jour de bal et fit plus tard un chancelier, ni le brillant comte d’Orfort, auquel elle défendait tout commerce avec sa femme, ni le jeune Tremaine, tué au siège du Havre et dont Warwick, qui commandait l’armée d’Angleterre, lui reprocha de pleurer la mort, ni même Leicester, son éternel poursuivant, ne surent comme Essex captiver et maîtriser ce cœur fantasque : avec Essex seul elle perdit ce qu’elle ne perdit avec aucun autre, sa raison. « Les deux fenêtres de votre chambre privée, lui écrivait-il durant sa campagne en Normandie, sont les deux pôles de ma sphère ; tant qu’il plaira à votre Majesté, je resterai inchangeable ; quel que soit votre pouvoir comme reine, il ne peut aller jusqu’à m’empêcher de vous aimer. » Elle ne sut jamais vieillir, et jusque dans l’âge où l’on ne doit plus croire aux paroles d’amour, elle s’y laissait encore prendre. Henri IV, le plus fin diplomate de son temps, connaissait son faible, et voulant lui arracher quelque mince subside feignait d’éprouver un tendre sentiment pour elle. M. de Beauvoir, qu’il envoya en Angleterre en 1500, — Elisabeth à cette date avait cinquante-sept ans, — raconte qu’au sortir d’une audience elle le conduisit dans sa chambre à coucher, où elle lui montra un beau portrait du roi avec des gestes si expressifs et une si vive démonstration qu’il lui sembla « qu’elle aimeroit mieux le vif, » et en l’écrivant à Henri IV, il ajoute : « Elle ne se courrouça point trop, Sire, lorsque je lui dis que vous l’aimiez. »

À son avènement, elle avait été acclamée : le peuple anglais se sentait si heureux d’être délivré de la tyrannie de la sombre Marie