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La cérémonie ; achevée, s’ adressant à Melvil, l’ambassadeur de Marie Stuart, qui était à ses côtés : « Comment le trouvez-vous ? » lui dit-elle. Sa réponse ne la satisfaisant pas, elle lui montra du doigt lord Darnley, qui portait l’épée royale : « Je sais, ajouta-t-elle avec dédain, que cette grande perche vous plaît davantage. »

Comme homme, Leicester devait en effet lui plaire : grand et bien fait, sa tête était belle et nullement déparée par la hauteur disproportionnée de son front ; très soigné dans sa personne, la barbe et les cheveux toujours parfumés, il s’habillait avec une royale magnificence, affectant de porter à sa toque de velours noir une plume de cygne, allusion équivoque à la soi-disant pureté virginale de la reine ; mais ce n’est pas à ses avantages extérieurs qu’il dut uniquement sa haute fortune et sa persistante faveur ; il la dut surtout à son habileté, à sa profonde dissimulation, et à son audace. Il le dit lui-même à notre envoyé, sa force, c’était de connaître mieux que personne Elisabeth et d’obéir passivement à son premier ordre assuré qu’il était de ramener plus tard à ce qu’il voudrait cette nature tout à la fois violente et variable. Lorsqu’elle lui proposa d’épouser la reine d’Ecosse, il accepta ce rôle, mais secrètement il s’en fît excuser par Melvil auprès de Marie, se disant indigne d’elle et mettant cette hardiesse sur le compte de Cecil, son ennemi mortel. Lors des conférences qui eurent heu à Berwick pour arranger ce mariage, il écrivit à Bedford, l’un des négociateurs, pour le prier de faire échouer ce projet. Pour parvenir à épouser Elisabeth, il ne recula devant aucun moyen ; il chercha d’abord à la compromettre en plaçant sa chambre tout à côté de la sienne et en se permettant avec elle des familiarités si audacieuses et si publiques, que les principaux de la cour vinrent lui en faire reproche et lui intimèrent l’ordre d’être plus prudent à l’avenir, et il s’y soumit. Lui, le chef des puritains, il promit à Philippe II de se faire catholique et de ramener l’Angleterre à la vraie religion s’il voulait favoriser son mariage. C’était le but unique de son ambition, et, violemment ou par ruse, il écarta sur sa route tout ce qui lui fit obstacle. Sa femme, Amy Robsart, le gênait ; il la fit tuer par des subalternes. Cecil eut beau dire que cette mort l’avait déshonoré, il porta la tête haute et brava ses adversaires. Throck-Morton, son plus intime confident, en savait peut-être trop sur sa vie ; il mourut au sortir de sa table. Le comte d’Essex, dont plus tard il épousera la veuve, mourut subitement en revenant d’Irlande. Ce ne sont point d’obscurs pamphlétaires qui l’accusent : c’est Melvil dans ses mémoires ; c’est Camden, l’historien le plus autorisé de l’époque. Le loyal Sussex, qui jusqu’à la dernière heure combattra sa funeste influence, et qu’il tenta, dit-on, d’empoisonner, disait aux amis qui entouraient son lit de mort : « Je