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Elle redevint sérieuse :

— Je n’ai jamais songé à cela ; je ne quitterais ma mère ni pour me marier ni pour un autre motif.

— Vraiment, vous n’avez pas d’ambition plus haute ? Voyons, Nellie, dites-moi, comme à votre ami, votre plus vieil ami... Ne s’est-il trouvé aucun jeune homme à Warmington ?..

— Jamais ! interrompit la pauvre fille avec vivacité ; jamais !

— J’en suis bien aise, sinon je me serais fait un plaisir de lui Casser la tête... Et maintenant il faut que je me sauve. Il se leva, lui prit la main, et la tenant entre les siennes :

— Depuis ce premier soir où je vous ai rencontrée, petite fille, conduisant votre vache, vous avez toujours été à mes yeux tout un poème de pureté et de simplicité. Restez ainsi,.. et souvenez-vous de moi... Je reviendrai.


VI.

Une transformation complète, quoique subtile et graduelle, commença d s lors à s’effectuer chez Nellie ; elle n’aurait osé s’ouvrir franchement à sa mère, qui ne l’eût pas comprise. Elle se tournait donc vers Dieu, vers Dieu seul, lui demandant pardon des folles et mauvaises pensées qu’elle ne réussissait pas à bannir. Mme Dawson attribuait l’air de fatigue et de mélancolie que chacun remarquait chez sa fille à un travail un peu lourd pour ses forces et à des habitudes trop sédentaires, aux chaleurs de l’été aussi.

Sur ces entrefaites, les deux femmes reçurent une visite qui fut loin de les charmer ; celle de Sam. Il vint s’installer à l’auberge du village avec l’autorisation de son père, pour rendre, disait-il, ses devoirs à sa tante et sa cousine. Mme Dawson, étonnée, inquiète, crut devoir prémunir Nellie contre les intentions probables du jeune citadin :

— Réfléchis bien à ce que tu lui répondras, s’il prend le parti de se déclarer, lui dit-elle.

Mais Nellie rejeta si loin la possibilité d’une déclaration, elle parut même si indignée de cette idée, que sa mère n’osa point insister. Tout d’abord Sam fut choqué du peu d’importance qu’on semblait lui accorder chez sa tante, tout en le traitant avec une cordialité suffisante. L’héritier du riche Joshua Dawson, la fleur des pois de Warmington, Sam l’irrésistible s’était attendu à un tout autre accueil ; en vain accablait-il Nellie de complimens, en vain lui répétait-il d’une façon significative que la maison était vide depuis son départ et que ses parens disaient sans cesse qu’ils eussent