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X.

L’entrée en possession de quatorze mille livres sterling de rente fut loin d’adoucir la douleur filiale de Wilfred : il ne faisait aucun cas de l’argent, il avait peur des responsabilités ; rien ne vint donc le consoler d’avoir été pour son père un sujet de cruel souci et d’avoir peut-être précipité sa fin par une imprudence dont il se repentait.

Lady Athelstone, à qui feu son mari avait prescrit une ligne de conduite qu’elle était résolue à suivre, bien que, faute de discernement, il dût lui arriver quelquefois de l’embrouiller un peu, fit appeler Mme Dawson le lendemain des funérailles :

— Je n’ai pas voulu, lui dit-elle, qu’un homme d’affaires vous instruisît des dernières intentions de mon cher lord à votre égard. Il vous a laissé un legs par testament...

— Un legs ! est-il possible, mylady ?

— Attendez, il vous l’a laissé sous de certaines conditions : cinq cents livres sterling pourvu que vous consentiez à émigrer, si vous en avez le désir.

— Le désir d’émigrer ? répéta Mme Dawson abasourdie. Non, je n’y ai jamais songé. Certainement c’est une grande générosité de la part de sa seigneurie, mais...

De nouveau, lady Athelstone l’interrompit.

— Ne répondez pas trop vite. Mylord s’intéressait beaucoup à Nellie, et il y a une autre somme de cinq cents livres pour elle, pourvu qu’elle se marie d’une façon que je puisse approuver. Mme Dawson se croyait le jouet d’un rêve :

— Mon Dieu ! c’est à peine si je peux me figurer que mylord ait jamais seulement fait attention à Nellie... Que de bontés ! j’en suis toute saisie. Mais pour ce qui est de l’émigration, je n’ai pas besoin de réfléchir. A mon âge, c’est impossible. J’espère que mylady ne m’en voudra pas.

— Oh ! certainement non, répondit lady Athelstone avec un peu d’impatience, mylord agissait dans votre intérêt ; il supposait que Nellie, instruite et jolie comme elle l’est, se marierait mieux à l’étranger qu’ici, et je dois vous dire qu’au cas où vous refuseriez d’émigrer, il m’a recommandé de la placer comme gouvernante dans quelque famille honorable. Vous consentiriez à vous séparer d’elle, je suppose ?

— Franchement, mylady, j’espérais la garder encore un peu. Mais si c’est pour son bien, je n’ai rien à dire. Seulement, elle n’est pas très forte...