Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/946

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pénibles, douloureuses, inutiles surtout. Enfin, le 31 mai 1698, on la transférait à la Bastille.

M. Guerrier déclare ici qu’elle n’était coupable d’aucun crime ni d’aucune faute, et se porte garant, notamment, de la pureté des relations du P. La Combe et de Mme Guyon. C’est trop dire, beaucoup trop dire. Il n’en sait rien, ni moi non plus, ni personne. Et puisqu’il s’agit de répartir et de fixer des responsabilités, la question n’est pas de savoir si Mme Guyon était ou non coupable des fautes qu’on lui imputait, mais bien si ceux qui l’en accusèrent furent fondés à croire qu’elle les avait commises. Il serait facile de prouver qu’ils eurent toutes raisons de le croire. Ce n’est que la nature même de l’accusation qui nous interdit d’apporter ici les textes. La captivité dura jusqu’en 1703. Une mise en liberté provisoire, du 21 mars 1703, devint définitive au commencement de 1704. Exilée d’abord à Diziers, chez sa belle-fille, qui sollicita de la bienveillance de M. de Noailles la faveur d’en être débarrassée, Mme Guyon, en 1706, obtint la permission de s’établir enfin à Blois. C’est à Blois qu’elle mourut le 9 juin 1717. Ces dates, et quelques autres, désormais assurées, sont ce qu’il y a de plus intéressant dans le livre de M. Guerrier. Nous le disons très sérieusement, et quiconque sait ce que c’est que de déterminer une date historique ne lui saura pas peu de gré de ces déterminations.

Il ne sera peut-être pas inutile de faire une observation pour quelques personnes dont les infortunes de Mme Guyon risqueraient d’émouvoir trop vivement la sensibilité. Si Mme Guyon eût vécu de nos jours, que fût-il advenu d’elle ? On l’eût mise à la Salpêtrière, selon toute vraisemblance, et comme « la durée de la monomanie religieuse est ordinairement longue, » comme les individus qui en sont atteints « sont extrêmement dangereux, » comme enfin, « sa terminaison par la guérison est relativement moins fréquente que pour d’autres formes d’aliénation[1] » il est probable qu’elle fût morte à la Salpêtrière. Elle porta la peine d’être crue raisonnable. Mais d’ailleurs, au régime de la Bastille, elle gagna, sur le régime de la Salpêtrière, dix ans de liberté.


III

Je n’ai pas craint d’accorder quelque chose à l’irritation personnelle. Il me reste maintenant, puisque l’auteur de Madame Guyon ne m’a pas dispensé de le faire, à montrer les raisons plus générales, plus hautes, plus impérieuses qui, dans cette controverse mémorable, gouvernèrent la conduite de Bossuet.

On a prétendu qu’il y avait eu là-dessous une intrigue de cour, et je m’étonne à ce propos que M. Guerrier, en reprenant l’explication, n’ait

  1. . Dagonet, Nouveau traité des maladies mentales, p. 281 ; J.-B. Baillière ; Paris, 1867.