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électorale, M. Gambetta commettrait lui-même une singulière méprise s’il croyait qu’il n’a qu’à paraître, à tracer des programmes en voyage pour tout simplifier à son commandement, pour disposer de la politique de la France, de la direction et de l’avenir des institutions nouvelles. Les destinées d’un régime à peine établi sont un peu plus difficiles à assurer et à conduire que M. le président de la chambre des députés ne semble le penser, et il est peut-être lui-même une des difficultés d’une situation où les républicains ont plus à craindre de leurs propres fautes et de leur insuffisance que de leurs adversaires.

Assurément M. Gambetta est un personnage d’importance dans la république. Les courtisans et les flatteurs ne lui manquent pas, les historiographes étrangers s’empressent de recueillir ses conversations. On tient à savoir ce qu’il pense de la politique extérieure aussi bien que de la politique intérieure de la France, de l’état de l’Europe comme des affaires de Tunis et d’Alger. Ses amis lui ménagent les occasions de s’expliquer sur toute chose. Hier, il était à Belleville, sur les hauteurs de la cité parisienne où est née sa fortune politique ; l’autre jour, il était à Tours, là où il a été le ministre omnipotent de la défense nationale, et partout, et pour tous ses auditeurs, il a un programme plus ample, plus retentissant que varié. S’il avait eu le scrutin de liste pour lequel il a plaidé, il aurait eu certainement un rôle prépondérant dans les élections, il aurait été une façon de grand électeur ; même avec le scrutin sectionné, il a sans nul doute une influence plus ou moins sensible sur le mouvement électoral qui se déroule aujourd’hui, et il est vraisemblablement appelé à garder dans la chambre nouvelle l’ascendant qu’il a eu dans l’ancienne chambre. En un mot, M. Gambetta reste l’homme du moment, la plus brillante personnalité de cette phase de la république où nous sommes. La question est de savoir si, par ses qualités d’homme public, d’orateur, de politique, il est à la hauteur de la position qu’il a conquise, où les circonstances Pont aidé à s’établir. M. Gambetta, il faut l’avouer, est jusqu’ici une énigme pour tous ceux qui le suivent avec attention. Depuis qu’il est entré pour ainsi dire avec effraction dans la vie publique par son plaidoyer enflammé sur Baudin, il y a quelque douze ans de cela, il a eu certes une carrière heureuse, — une carrière dont on peut suivre les étapes dans le recueil de Discours qu’un jeune écrivain publie avec un zèle qu’on n’applique guère qu’à un personnage de l’histoire. Rien ne lui a manqué. Il a eu dés son début, au déclin de l’empire, d’éclatans succès de parole. Il a été un moment, au milieu de la plus effroyable crise nationale, un dictateur improvisé de la France. Il a été depuis, dans les assemblées qui se sont succédé, un tacticien habile et un stratégiste plein de ressources, sachant tour à tour tenir tête à des hostilités peu déguisées ou discipliner l’action du parti républicain. Dans