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ne veux pas dépenser infructueusement mes forces pour des résultats secondaires, je réserve mes foudres pour les questions qui touchent aux conditions essentielles de l’église et sur lesquelles je n’entends pas transiger. Ces questions mises à part, j’étonnerai les gouvernemens par l’étendue de mes concessions. »

Comme M. de Bismarck, le pape Léon XIII s’était fait des illusions. Lorsqu’il commença à négocier avec le chancelier, il connaissait peu Berlin; il se flattait que la souplesse romaine aurait facilement raison de la morgue prussienne, qu’il obtiendrait l’abrogation pure et simple des lois de mai et qu’on verrait renaître ces temps heureux où l’église catholique jouissait en Prusse d’une véritable autonomie. Il s’est heurté contre un Non possumus péremptoire qu’il n’avait pas prévu. — « Vous nous demandez l’impossible, lui a-t-on répondu. Notre parlement a décidé que les chefs des diocèses seraient tenus désormais de notifier aux présidens des provinces le nom des candidats aux cures vacantes, que les présidens auraient trente jours pour faire valoir leur droit de veto. Commencez par vous soumettre à nos lois, à toutes nos lois, nous verrons ensuite à les modifier ou à les adoucir dans l’application. » — Le souverain pontife a trouvé qu’on mettait sa mansuétude à une dure épreuve. Il s’est senti plus d’une fois partagé entre son amour de la paix et la crainte de trahir les augustes intérêts confiés à ses soins; plus d’une fois la négociation a paru traîner ou prête à se rompre. Cependant il a persévéré et il étonne en effet le monde par l’étendue de ses concessions.

Ce qui explique sa longanimité, ce sont les embarras de sa situation, qu’on prend plaisir à compliquer. Les catholiques ardens font une résistance sourde ou déclarée à sa politique d’apaisement, qu’ils traitent de chimérique ; le meilleur moyen de leur fermer la bouche serait de remporter quelque succès décisif. D’un autre côté, plusieurs des plus grandes familles romaines, fort empêchées d’avoir à servir deux maîtres qui sont brouillés ensemble, témoignent depuis quelque temps l’impatient désir de voir le Vatican oublier ses griefs et tendre une main amie au Quirinal. Le pape Pie IX avait enjoint au clergé italien de se désintéresser absolument des affaires du royaume, de ne prendre aucune part aux élections. Son successeur a levé cette consigne, mais il désire en demeurer là, et il verra toujours dans ile roi Humbert un usurpateur qui détient son patrimoine. S’il réussissait à conclure un traité de paix avec l’Allemagne, cet événement de grande conséquence le dispenserait à jamais de faire des avances au Quirinal et prouverait d’autre part aux catholiques ardens et belliqueux que le Christ avait raison de dire : « Heureux ceux qui sont doux, car ils posséderont la terre ! »

Une autre raison, plus grave encore, le pousse à surmonter ses répugnances et ses scrupules pour se rapprocher de l’Allemagne, c’est la situation de l’église en France et la haine que lui a vouée un parti