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me fait de belles funérailles. » Le prince de Metternich, hors de Vienne, en fuite, sceptique comme tous les hommes qui ont beaucoup vu, répondait à un diplomate inquiet de l’établissement de la république française : « Le gouvernement de la France est une monarchie intermittente. »

Paris était dans un effarement dont je n’ai plus revu d’exemple, malgré les événemens dont il a été assailli ; le mot de république était alors un épouvantail ; on croyait aux confiscations, à la guillotine, à la guerre générale et on divaguait en face d’un gouvernement provisoire composé d’hommes dont la mansuétude aurait dû rassurer les plus timorés. C’était à la fois triste et comique. Bien souvent, Louis de Cormenin et moi, nous avons ri des terreurs dont tant de pauvres cervelles étaient tourmentées. Nous avions endossé l’uniforme de la garde nationale et nous faisions un service assez pénible. Les journaux rouges, comme l’on disait alors, écrivaient : « La réaction relève la tête ; » dans la Presse, Émile de Girardin s’écriait : « Confiance ! confiance ! » Peine perdue des deux parts ; la confiance ne renaissait pas, et la réaction ne relevait rien du tout. La torpeur avait envahi les âmes ; on semblait être en présence d’un péril imminent ; chaque jour, on s’attendait à des désastres pour le lendemain, et on se sentait paralysé. Il fallut l’insurrection de juin pour que l’on sortît de cette atonie. Le droit de légitime défense, l’instinct de la conservation individuelle ranimèrent les courages. La lutte fut dure ; la France se précipita au secours de sa capitale et Paris reprît enfin possession de lui-même. Une fois de plus, les républicains venaient de tuer la république ; aux fusillades du clos Saint-Lazare, du canal Saint-Martin, du faubourg Saint-Antoine, à la mort de l’archevêque, le scrutin du 10 décembre devait répondre et répondit.

Pendant que je faisais des patrouilles et que, dans l’intervalle des prises d’armes, je terminais la relation de notre voyage en Bretagne, Alfred Le Poitevin s’acheminait vers le monde inconnu. Sa maladie de cœur avait fait des progrès rapides, et Flaubert m’écrivait : « Il fait pitié à voir ; te rappelles-tu le mot d’Horace : Pulvis et umbra sumus ? » J’écrivis à Le Poitevin, il me répondit un court billet dont l’écriture, déjà tremblée, n’était point rassurante « Je commence à ne regarder plus les choses de ce monde, qu’à la lueur de ce terrible flambeau qu’on allume aux mourans. Je te préviens que cette phrase n’est pas de moi, elle est de Saint-Simon qui s’est trompé ; le flambeau n’est pas terrible. » Le 3 avril 1848, il mourut à La Neuville, et voici la lettre que Flaubert m’envoya après les funérailles : « Alfred est mort lundi soir, à minuit ; je l’ai enterré hier. Je l’ai gardé pendant deux nuits ; je l’ai enseveli dans son drap, je lui ai donné le baiser d’adieu et j’ai vu souder son cercueil. J’ai passé là deux jours larges ; en le gardant,