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le gothique, qui n’avait d’ailleurs jamais jeté de racines profondes sur les bords du Tibre, la vue des sains et robustes monumens de l’antique Rome ayant suffi, à ce qu’il semble, pour préserver les Romains de ces inventions, si contraires au génie de leur race. Aux flèches élancées, avec leurs riches dentelles de pierre, ils opposent la coupole, simple et imposante, dont Brunellesco leur a laissé l’impérissable modèle. On voit s’élever les premiers dômes, aux Saints-Apôtres, à Sainte-Marie du Peuple, à Saint-Augustin, imitations encore bien timides du colosse de Santa Maria del Fiore. Leurs efforts n’auront pas été stériles ; par leurs soins, le terrain sera préparé pour de nouveaux progrès. Tout à l’heure, quand Bramante, après avoir interrogé une fois de plus ces ruines romaines, muettes pour tant d’autres, en aura tiré la plus haute formule du beau, il trouvera sur le trône pontifical un mécène fier d’attacher son nom à ce suprême essor de l’art de bâtir.

L’esthétique d’un côté, la gloriole de l’autre, n’eurent pas seules part au remaniement de la topographie de Rome. La politique y fut pour beaucoup aussi, nous le savons par les contemporains, En 1475, lors de son voyage à Rome, le roi de Naples, Ferdinand, un des diplomates les plus rusés de ce siècle qui en compta tant, conseilla au pape de faire élargir les rues et de faire disparaître les tourelles, balcons, loges et autres avances qui favorisaient si singulièrement les insurrections. « Vous n’êtes pas maître de Rome, lui dit-il, aussi longtemps que de simples femmes pourront, par des projectiles lancés du haut de ces constructions, mettre en fuite vos meilleurs soldats. »

Nous croyons sans peine que ces considérations, absolument étrangères à l’art, déterminèrent dans une large mesure les innombrables travaux de voirie entrepris par Sixte. Tel était l’empire que la raison d’état exerçait sur l’esprit du pape qu’il n’hésitait pas, lorsqu’il le croyait nécessaire, à détruire ce qu’il avait si laborieusement édifié, et à couvrir de ruines des quartiers dont la magnificence faisait, un instant auparavant, son orgueil. Lors des troubles qui signalèrent la fin de son règne, il fit jeter bas les splendides palais des della Valle, malgré les supplications du sacré-collège. L’indignation provoquée par cet acte de vandalisme fut si grand, que le cardinal Piceolomini, voisin des della Valle, quitta sur-le-champ Rome, ne pouvant supporter un pareil spectacle.

Pour triompher, dans le domaine de la sculpture et de la peinture, la renaissance éprouva, surtout à Rome, des difficultés avec lesquelles les architectes n’avaient guère eu à compter. Pendant le XVe siècle, ces deux arts ne purent, au point de vue au style, s’y inspirer qu’indirectement des modèles antiques. Quant aux sujets mêmes