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celui-ci, entendez-vous, aille tout à fait bien; mais, tandis que celui-là se meurt de faiblesse, celui-ci ne souffre que d’un excès de santé. On devine où je veux en venir : la transfusion du sang est le remède indiqué.

Depuis quelques années, la Comédie-Française, administrée par. un très habile homme, jouit d’une prospérité qui n’est pas sans péril. Toute pièce nouvelle ou reprise, qui n’essuie pas dès le premier jour un insuccès déclaré, est assurée d’une telle vogue qu’elle se maintient au moins pendant une saison sur l’affiche. Qu’est-ce donc quand le succès la désigne au public renouvelé sans cesse, qui vient de la province et de l’étranger! Il serait fou d’espérer que MM. les sociétaires arrêtent les représentations du Monde où l’on s’ennuie tant que cette comédie fera tomber dans leur caisse le maximum de la recette. Ajoutez que, par complaisance pour un auteur fructueux, on ne manque pas de lui concéder, comme sur une scène de genre, même ce commencement de la soirée où se blottirait si volontiers soit un ancien du répertoire, soit un jeune écrivain ; on ne permet pas qu’à l’ombre du riche, dans ce théâtre d’état, le pauvre apprenne à s’enrichir : si la pièce en vogue est jouée deux cents fois, deux cents fois on donnera un lever de rideau du même auteur.

La Comédie-Française a pourtant un répertoire ancien et moderne d’une richesse incomparable. Elle tire parfois du moderne ou bien elle y range un drame de Victor Hugo ou une comédie de M. Dumas fils. Le Hugo « ferait de l’argent, » même joué par les ouvreuses et les garçons d’accessoires; le Dumas attire, — pour peu que Mlle Croizette soit « en forme, » — tous les bourgeois qu’il scandalise. Joignez donc à la pièce nouvelle une reprise de Hugo ou de M. Dumas fils : et voyez ce qui reste soit aux pièces nouvelles, — si l’on admet qu’il s’en fasse plus d’une par an pour toute la France, — soit au répertoire tant ancien que moderne. Pour le moderne, la question est vite réglée: il est devant les sociétaires comme s’il n’était pas. Feuilletez la collection de leurs affiches : vous ne trouverez rien de Dumas père que Mlle de Belle-Isle; rien de Casimir Delavigne, ni de Ponsard, ni de Scribe, — si ce n’est de temps en temps une Chaîne, quand Mlle Favart était là, et quelquefois Bataille de dames : — je ne cite que ces quatre noms d’auteurs, faute d’en retrouver d’abord d’autres ; les autres, où sont-ils? Ils sont oubliés.

Du répertoire ancien, la comédie subsiste encore : on n’oublie pas trop cyniquement qu’on est la maison de Molière. J’aimerais cependant que Molière fût hospitalier; qu’on fît chez lui une moins petite place à Marivaux, par exemple, une petite place au moins à Regnard et à Le Sage ; il ne me déplairait pas de voir le Légataire et Turcaret. Aussi bien Molière lui-même doit prendre garde à se recruter des interprètes : on ne le joue pas si souvent que les chefs d’emploi sentent le besoin de se former des seconds. Pour un comme M. Got, qui produit volontiers