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nos armées au-delà du fleuve. Aussi, au moindre bruit d’une prise d’armes, soit à Strasbourg, soit à Metz, chacun de ces roitelets tremblait-ii sur son trône en miniature, et leur profession sacerdotale leur permettait de céder d’avance, sans manquer au point d’honneur, à la moindre apparence de force. Cette patience chrétienne était d’ailleurs, de toutes les obligations de leur état, la seule qu’ils se piquaient d’observer régulièrement, car ces princes-évêques du XVIIIe siècle, sans être des saints, à beaucoup près, étaient loin de rappeler les prélats guerriers et politiques dont le moyen âge avait donné de brillans modèles. Du prêtre ils gardaient au moins l’humeur pacifique; rien de moins austère que leurs mœurs, mais rien de chevaleresque ni même de mâle dans leurs écarts. C’étaient des cadets de grande maison, entrés dans les ordres par convenance et pour soutenir la grandeur de leur race, et qui ne songeaient qu’à remplacer les joies et les soucis de la famille par les jouissances d’une vie molle et d’un luxe puéril. Nul lien d’affection héréditaire n’attachait d’ailleurs ces maîtres d’un jour aux populations douces, mais indifférentes, que le suffrage de quelques chanoines les avait appelés à gouverner. Ainsi affranchis de tous les devoirs, on oserait presque dire privés de tous les attributs de la virilité royale, ils languissaient dans une longue enfance, s’abandonnant à toutes les influences subalternes qui assiègent la vieillesse égoïste des célibataires.

Les dépêches du maréchal de Belle-Isle, datées de ces petites résidences, tracent de leur intérieur un portrait dont la vivacité comique en fait de véritables tableaux de genre. On me pardonnera peut-être de m’en être assez amusé pour m’y arrêter un instant. Si c’est une digression, elle a son prix comme peinture d’un état de mœurs qui explique beaucoup des événemens d’alors et que rien aujourd’hui ne rappelle plus.

La première visite de l’ambassadeur est rendue à l’électeur de Trêves, faisant séjour dans son palais de Coblentz. Avant l’arrivée, un envoyé exprès était venu régler le cérémonial de la réception, dont, en homme qui connaissait son monde, Belle-Isle avait arrêté d’avance les moindres détails. Saint-Simon lui-même, si difficile sur l’étiquette à exiger des princes étrangers, n’y aurait trouvé rien à redire. Il fut convenu que le prince viendrait au-devant de l’ambassadeur à l’entrée de son appartement et prendrait la main qui lui serait tendue pour le conduire à un fauteuil pareil au sien. A dîner, même égalité, deux sièges en tout semblables, placés à côté l’un de l’autre, sur la même ligne et sous un dais de même grandeur : chacun des deux convives d’ailleurs servi par ses propres pages, en même nombre, dans une vaisselle d’or. Le roi serait venu en personne qu’il n’eût pu demander davantage, mais ce qui attesta