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primé le droit, la règle internationale n’a pas fléchi devant le tribunal de l’Europe. Le meilleur moyen de prévenir ces retours offensifs de la barbarie est encore l’appel sans trêve à la conscience publique et l’infatigable revendication du droit.

Les Instructions américaines contiennent une disposition importante qui devrait figurer dans le règlement de toutes les armées européennes. Il est expressément défendu d’obliger les citoyens de l’état ennemi à « entrer au service » du gouvernement victorieux, tant que celui-ci n’a pas fait du territoire soumis une portion de son propre territoire. C’est assurément violer un principe élémentaire du droit international que de contraindre, avant la conquête définitive, des gens à se battre contre leur pays, comme les Anglais l’exigèrent encore, à la fin du XVIIIe siècle, de matelots des États-Unis pris pendant les hostilités. Cette question n’est plus douteuse, et l’on peut affirmer sans témérité que nos contemporains ont définitivement répudié, sur ce premier point, une exécrable pratique. Mais ils ne font, selon nous, qu’appliquer une règle générale. C’est encore, quoi qu’on ait dit, entrer au service d’un belligérant que de coopérer pour son compte à des travaux militaires dont l’achèvement prépare ou facilite sa victoire. Bluntschli se trompe en enseignant, sans distinction, que les habitans d’un territoire occupé sont tenus d’obéir au chef de l’armée d’occupation. Ils sont tenus, au contraire, de lui désobéir dès qu’on prétend les faire contribuer directement à la défaite et à la ruine de leur patrie.

Il faut sans doute reconnaître que certains ordres du belligérant, dès qu’il a pris possession effective d’un territoire ennemi, doivent être exécutés, puisque l’ancien gouvernement cesse, en fait, d’exercer ses pouvoirs. Cependant, même alors, par cela seul que le droit de vie et de mort sur les « ressortissans » de l’état ennemi est proscrit par les lois modernes de la guerre, ce belligérant ne saurait imposer sa volonté à tout prix. Les Prussiens purent, en 1871, enjoindre aux ouvriers de Nancy de contribuer à la réparation d’un pont de chemin de fer détruit par les francs-tireurs français ; mais, quand ils appuyèrent leur injonction d’une menace ainsi conçue : «Si demain, mardi, 24 janvier, à midi, cinq cents ouvriers des chantiers de la ville ne se trouvent pas à la gare, les surveillans d’abord et un certain nombre d’ouvriers ensuite seront fusillés sur place, » ils excédèrent manifestement leur droit. Le ministre de Roon put aussi, le 15 décembre 1870, défendre aux habitans des provinces occupées de se rendre sous les drapeaux de leur pays ; mais Bluntschli lui-même doute qu’il ait légitimement édicté contre les contrevenans le bannissement et la confiscation, parce que ces peines sont excessives et dépassent, par la durée même de leurs effets, toutes les exigences de l’intérêt militaire. Toutefois le droit