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moins grande abondance, l’or aurait dû perdre ce qu’il avait gagné dans les siècles précédens, et on pouvait craindre de revenir au rapport de 1 à 10 ou 12 ; quelques personnes même l’annonçaient et, dans cette prévision, certains états se sont un peu trop pressés de répudier l’or. C’est encore le contraire qui est arrivé ; l’or, plus abondant, est devenu plus cher, et le rapport, qui était en 1848 aux environs de 15 1/2, est aujourd’hui à 17 et plus. N’y a-t-il pas là un enseignement qui pourrait dispenser de tout commentaire? Le métal jaune a été plus abondant, c’est vrai; mais comme il était aussi plus employé et plus recherché, il a pris définitivement le pas sur l’argent et il n’a plus été possible de lui substituer ce dernier métal. Du reste, les rapports comme quantité dans la production des deux métaux n’ont jamais rien signifié ou à peu près pour déterminer leur valeur relative. Déjà, en 1830, le secrétaire de la trésorerie des États-Unis, M. Ingham, disait : « Les circonstances extraordinaires dans l’histoire des métaux précieux nous autorisent à conclure qu’il n’y a aucune utilité à vouloir se rendre compte de la valeur relative de l’or et de l’argent en faisant des comparaisons entre les quantités produites de l’un ou de l’autre. » En effet, en 1848, nous apprend un document inséré aux procès-verbaux de la conférence, il y avait 5,806,000 kilogrammes d’or et 139 millions de kilogrammes d’argent ; le rapport comme poids entre les deux était de 1 à 23 et comme valeur de 15 1/2 environ. Aujourd’hui, la quantité d’or est de 11 millions de kilogrammes et celle de l’argent de 179 ; le rapport comme poids n’est plus que de 16, et le rapport comme valeur a monté à 17 et plus au profit de l’or. Ainsi ce dernier métal, qui a fait plus que doubler dans l’espace de trente ans et qui, comme poids, a passé du rapport de 23 à 16, augmente cependant toujours de valeur. Que peut-il y avoir de plus significatif que ces chiffres pour montrer la prédominance fatale du métal jaune? On peut le regretter, mais il faut en prendre son parti, et en supposant que le bimétallisme ait toutes les qualités qu’on lui prête, il est comme la jument de Roland, qui avait aussi toutes les qualités, mais qui était morte. Le bimétallisme est mort pour les pays civilisés et riches, et, au lieu de s’attarder à vouloir le ressusciter, il vaudrait mieux chercher dans la situation telle qu’elle est ce qui peut le mieux servir les intérêts généraux.

Avant de l’indiquer, il sera peut-être bon de répondre encore à une dernière objection que l’on fait toujours et qui est de nature à surprendre les esprits superficiels. Si on démonétise l’argent, dit-on, il n’y aura plus assez d’or, et on nous montre la production de ce dernier métal diminuant d’année en année. On suppose qu’elle peut revenir à ce qu’elle était avant 1848, c’est-à-dire à 200 millions au plus par an. Alors que deviendra la circulation métallique, si l’argent