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notice où tous les conflits religieux auxquels le duc et la duchesse de Liancourt ont pris une si grande part sont appréciés avec une élévation et une fermeté remarquables. Le lecteur y trouvera surtout un ton d’impartialité, une modération de langage, qui lui causera sans doute autant de surprise que de plaisir. L’auteur, quoique ayant des opinions très arrêtées, ne croit pas qu’il soit nécessaire d’être violent pour paraître convaincu et qu’on doive cet hommage à ses croyances d’insulter en leur nom celles des autres. C’est une qualité qui n’est pas commune au temps où nous sommes et dans les questions de ce genre. Il faut savoir beaucoup de gré à Mme de Forbin d’Oppède de nous parler des jansénistes et des jésuites sans être tentée de rien mettre de nos discussions d’aujourd’hui dans le récit des querelles d’autrefois.

Quant au livre lui-même, je viens de le relire avec soin, et non sans plaisir, mais il faut avouer qu’il est bien loin de nous. C’est un de ces ouvrages dont l’utilité consiste surtout à nous faire mesurer le chemin que nous avons fait. Sans doute il y règne une élévation morale dont on est touché et, suivant le mot de Mme de Sévigné, la lecture en est bonne « pour se soutenir le cœur ; » mais quand on arrive au détail des préceptes, on en trouve beaucoup qui ne pourraient plus s’appliquer aujourd’hui. Je ne veux pas seulement parler de ceux qui concernent les grandes dames en leur qualité de suzeraines et dans leurs rapports avec leurs vassaux: les femmes n’ont plus aujourd’hui à rendre la justice à leurs sujets et à nommer des abbés ou des curés sur leurs terres; mais même pour les devoirs ordinaires de la vie, qui n’ont pas changé, il y a, dans le livre de Mme de Liancourt, un luxe de sévérités, des excès de scrupules, une crainte du monde qui nous surprennent un peu. C’est un crime irrémissible d’aller à la comédie; c’est un mortel danger de lire des romans, et il n’y a pas d’autre moyen d’échapper à la médisance que de prendre la résolution de ne jamais recevoir chez soi un homme tout seul. « S’il en vient durant que vous n’aurez point d’autre compagnie, ne faites aucune difficulté de faire mettre vos chevaux au carrosse, et de les quitter en faisant excuse de ce que vous avez affaire à sortir. » Je ne sais si nous sommes devenus plus sages, ou seulement plus présomptueux, mais la vertu ne nous paraît plus aussi fragile, et nous avons pris, peut-être à tort, un peu plus de confiance en elle. Nous trouvons moins de péril dans les comédies, moins de venin dans les romans, et nous ne faisons pas un devoir aux femmes quand elles reçoivent la visite « d’hommes qui sont d’âge ou de sorte à pouvoir être suspects» d’appeler leurs gens ou de faire atteler les chevaux à leur voiture.

Il y a pourtant beaucoup de réflexions justes et fines dans ce petit livre de Mme de Liancourt et des passages qu’on aura grand plaisir à lire. Ce