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être évitée. Aussi, dès que la situation véritable fut connue à Versailles, Belle-Isle obtint-il l’autorisation d’aller, en fait de concessions nouvelles, aussi loin qu’il serait possible, afin d’arrêter l’infidélité de son volage allié. Valori reçut l’ordre d’en porter lui-même l’assurance à Molwiz, dans des termes qui n’étaient guère encourageans. car ils semblaient lui imposer la tâche ridicule de prendre le roi de Prusse par les sentimens. « Le roi de Prusse, disait le ministre dans sa dépêche, trouvera peu d’exemples d’une franchise pareille à celle dont le roi a usé à son égard; c’est à lui de voir s’il y a répondu. Il serait triste de voir un prince qui, dès sa première campagne, donne tant de preuves de valeur, d’intelligence et de talens militaires, se voir imposer et arracher pour ainsi dire des mains la victoire! M. le maréchal de Belle-Isle n’en parle qu’avec admiration et son récit n’a fait qu’augmenter l’estime qu’avait déjà Sa Majesté pour le roi de Prusse, et son regret de lui voir subir un joug qu’il ne pourra peut-être jamais secouer[1]. »

Où le principal acteur avait échoué, on ne pouvait guère se flatter que le second sujet réussirait mieux, même avec des complimens et des paroles doucereuses. Aussi Valori eut-il grand’peine à obtenir, pour les offres nouvelles dont il était porteur, un instant d’audience. On lui fit faire antichambre plus d’une semaine dans une assez triste attitude, le renvoyant d’un jour à l’autre, et détruisant le lendemain les espérances que la veille on lui avait laissé concevoir. Ce qui accroissait son embarras, c’est qu’au même moment lord Hyndfort paraissait reçu sans difficulté et que l’on attendait le retour d’un courrier, envoyé par lui à Vienne, avec des conditions d’accommodement dont les termes étaient inconnus, et tout le monde dans le camp faisait des vœux pour la fin des hostilités. « Je vous préviens que tout Berlin est Anglais, » avait dit Frédéric à Belle-Isle, en le quittant, et Valori ne le voyait que trop, car on ne se gênait pas pour dire tout haut, de manière qu’il pût l’entendre, qu’on saurait bien se passer des Français et mettre sans eux l’Allemagne en repos. Le seul qui ne prît pas part à ces vanteries était le ministre Podewils, qui, bien que plus prononcé qu’aucun autre dans le sens de la paix, semblait n’y pas compter. « Nous sommes tous pour la paix, disait-il à Valori, et je crois que nous avons raison, mais il n’en sera rien, je vous le promets, et vous nous aurez[2]. »

La vérité, que Podewils seul connaissait tout entière, c’est que

  1. Valori à Amelot, 14 mai 1741. — (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)
  2. Valori à Amelot, 14 et 16 mai 1741. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)