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guerre en subalterne, je veux agir à ma fantaisie. Comptez sur ma parole d’honneur que l’accommodement n’est pas fait et ne se fera jamais que de concert avec mes alliés, mais je vous affirme avec la même vérité que mes troupes ne remueront pas de tout l’hyver. » — Puis, avant de lever la séance, il demanda s’il ne pourrait pas avoir un témoignage écrit des propos prêtés à Neipperg, et il répéta : — « C’est une impertinence qui coûtera cher à la reine, elle en sera pour quelques provinces de plus[1]. »

Un second entretien, qui eut lieu quelques jours après, ne se passa pas plus paisiblement. Cette fois, Valori, renonçant à solliciter un appui de l’armée prussienne, se bornait à demander que ses quartiers d’hiver ne fussent pas étendus sur la frontière de la Bohème de manière à disputer les moyens de subsistance aux armées alliées qui approchaient de Prague. C’était l’instruction formelle de Belle-Isle, qui, ayant eu beaucoup de peine à remettre par de pressantes objurgations l’électeur en mouvement, voulait au moins lui rendre ses premières opérations faciles. Mais cette fois Belle-Isle ne fut pus mieux traité que les autres. « M. de Belle-Isle veut-il donc faire le préteur en Allemagne ? Me croit-il d’humeur à me laisser traiter comme un enfant ? » Et comme Valori faisait observer, que puisqu’on était allié, au moins fallait-il opérer de concert : « Oh ! du concert, on vous en donnera et avec autant de violens que vous voudrez. » « Puis il ajouta, dit Valori, tant de choses extraordinaires, tantôt se fâchant, tantôt plaisantant, que je ne sais plus où j’en suis. » Et la dépêche se termine par cette expression mélancolique : « Quand je pense que le ministre de Danemark se plaint du peu d’égards qu’on a à Berlin pour les ministres étrangers, quels cris ne jetterait-il pas s’il avait essuyé comme moi une partie de la campagne dans l’armée du roi de Prusse[2] ? »

Valori péchait par excès d’humilité en prétendant ne rien comprendre au désordre des propos du roi ; une remarque pleine de finesse au contraire montre que, malgré cette confusion, il jugeait très bien le véritable état d’esprit de son interlocuteur. L’insistance avec laquelle Frédéric avait réclamé un témoignage écrit de l’assertion prêtée au maréchal Neipperg l’avait frappé, et il en concluait très justement que la négociation avec l’Autriche continuait toujours, puisqu’on réclamait de lui une pièce à mettre au dossier.

C’était la vérité : tout en se montrant très blessé de l’indiscrétion des agens autrichiens, en affirmant même avec colère dans son intimité que ce manque de parole le dégageait de toutes ses promesses,

  1. Valori à Belle-Isle, 4 nov. 1741. — (Correspondante de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Valori à Belle-Isle, 22 nov. 1741. (Ibid.)