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cette question se lie à l’histoire de la littérature du XVIIIe siècle, ce que nous nous proposons d’étudier.

Les documens ne manquent pas, et, pour la plupart, non moins inédits qu’authentiques. Nous n’en dresserons pas l’inventaire : pour deux raisons. La première, c’est que, sans parler des nombreuses pièces dispersées entre diverses collections, il serait un peu long de détailler le contenu des deux cent quarante-huit volumes des Archives de la chambre syndicale de la librairie et des cent trente-trois volumes de la Collection Anisson-Duperron, — en tout trois cent quatre-vingt et un volumes, qui forment, en s’ajoutant et se complétant les uns les autres, le fond d’une histoire générale de la librairie sous l’ancien régime, — un peu long et assez inutile. La seconde, c’est qu’en pareille matière, l’essentiel n’est pas d’avoir tout vu, car on se doute bien que le fatras a sa bonne part, l’ennuyeux et l’insignifiant, dans cet amas de vieux papiers; ou, mieux encore, l’important est peut-être de savoir ne pas tout dire. Il se rencontre, au surplus, qu’en détachant de ces deux collections un certain nombre de pièces, on a la substance même du sujet que nous venons de circonscrire : ce sont les nombreux papiers (puisqu’ils ne comprennent pas moins d’une trentaine de volumes encore) qui se rapportent à l’administration de la librairie sous M. de Malesherbes.

M. de Malesherbes a gouverné la librairie pendant près de treize ans, de 1750 à 1763, et son gouvernement a fait époque dans l’histoire du siècle. C’est que, s’il y a dans le cours d’un grand siècle un temps de crise où se décide en quelque sorte l’allure générale et le mouvement des idées, ce temps, par une coïncidence fortuite, et dont il ne faut par conséquent ni faire honneur à Malesherbes, ni non plus lui en faire un reproche, tombe précisément entre les treize années de son administration. On peut dire, en effet, que lorsque Malesherbes prend la direction de la librairie, la bataille du siècle n’est pas même encore engagée ; mais on peut dire que les philosophes ont emporté la victoire lorsque Malesherbes résigne ses fonctions. Une brève énumération de noms propres et de titres le démontre péremptoirement. Comptez plutôt : — en 1750, Voltaire vient à peine de partir pour Berlin; d’Alembert et Diderot n’ont publié de l’Encyclopédie que le lourd, mais inoffensif prospectus ; Rousseau n’est l’auteur encore que de son Discours sur les sciences, une pure déclamation de rhétorique; le reste, Raynal, Marmontel, Grimm, Helvétius, d’Holbach, n’a qu’un semblant d’existence publique. Franchissez brusquement l’intervalle : — en 1763, tous ces noms sont devenus presque illustres, et quelques-uns presque européens; Rousseau n’a déjà plus à publier un seul de ses grands ouvrages ; ils se sont tous, dans ce court espace de temps, depuis le Discours sur l’inégalité jusqu’au Contrat social, comme pressés l’un sur