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ans qu’Aristobule, un des compagnons, mais non pas un des lieutenans du roi, rédige ses mémoires. Aristobule s’était retiré dans la ville que Cassandre fonda, en l’année 315, sur l’isthme de Pallène, non loin de l’emplacement de l’antique Potidée. Favori déclaré du fils d’Antipater, il vivait sous la protection de Cassandre et devait probablement les tranquilles loisirs de sa vieillesse à ce tout-puissant patronage. N’était-il pas à craindre qu’il n’épousât les préventions haineuses de l’impitoyable meurtrier d’Olympias, qu’il ne publiât, au lieu d’un travail impartial, un pamphlet? C’est Aristobule cependant que nous voyons accuser hautement Callisthène d’avoir fomenté le complot d’Hermolaüs: c’est lui qui n’hésite pas à laver Alexandre du honteux reproche d’ivrognerie. « Le roi, nous dira-t-il, ne prolongeait pas ses banquets par amour du vin, car il en buvait généralement très peu ; s’il s’attardait à table, ce n’était que par une condescendance indulgente pour ses amis. » Ceux-là, par exemple, — j’en croirai volontiers sur ce point Éphippe, — auraient pu tenir tête à l’auteur du traité bien connu de vénerie, au gentilhomme du pays de Gastine, au célèbre et sensuel Messire Jacques du Fouilloux. Les généraux macédoniens avaient, pour la plupart, les goûts et les manières de Clitus; ils quittaient rarement la salle du festin sans être ivres. Dépendait-il d’Alexandre de les rendre plus sobres? Le prince Edouard n’eût-il pas joué sa popularité à vouloir mesurer à ses highlanders l’usquebaugh?

Aristobule ne plaide pas en faveur d’Alexandre les circonstances atténuantes; il raconte simplement ce qu’il a observé. Ce n’est ni un isanghéleus, ni un stratège qui écrit, c’est un docteur ès-sciences ; il insiste peu sur les détails de la vie intime de son héros, ne touche qu’en passant aux opérations militaires ; il réserve son zèle pour la description minutieuse des pays que l’armée macédonienne a parcourus. Son livre s’adresse particulièrement aux géographes et aux naturalistes. Académicien, il eût fait partie de la section de géographie et de navigation, s’il n’eût préféré se faire admettre dans la section de botanique. Recueilli, en Thrace par le roi Lysimaque, Onésicrite s’évertue, en ce moment même, à nous dépeindre une Inde de plus en plus fabuleuse ; Aristobule, au contraire, n’a aucun goût pour les fables ; un discret bon sens le défend d’une croyance trop prompte au merveilleux. Pour Aristobule, Alexandre n’a pas tranché le nœud gordien; il l’a dénoué en faisant tomber une cheville ; jamais ce roi n’a été saisi de la fièvre après s’être baigné dans les eaux glacées du Cydnus, il a été malade d’un excès de fatigue, — hypo kamatou. Nous sortons enfin des nuages de l’épopée pour entrer dans les régions sereines de l’histoire.

Les relations de Ptolémée et d’Aristobule, le journal de marche de Bœton et de Diognète, les éphémérides d’Eumène et de Diodote, —