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— Le fait est que le bruit du canon ne m’effraie pas. J’aime mieux un coup de canon qu’un coup de pistolet, un coup de sabre qu’un coup d’épingle. Mais, docteur, vous avez vu la Capricieuse; vous conviendrez sans peine que la marine royale aurait pu trouver quelque chose de mieux pour me conduire ici. On aura pensé que c’était assez bon pour moi et que, si nous devions faire naufrage, la perte serait encore assez grande. Nous avons failli périr; pendant deux jours la mer a été affreuse. Le capitaine Mollier, qui est un brave marin, un vieux loup de mer, m’a avoué qu’il a eu de sérieuses inquiétudes. Dans quel état nous étions, bon Dieu! Cette pauvre Stylite a passé trente-six heures entre une cuvette et quelque chose de pire; Mlle Lebeschu était morte; moi-même je n’en valais guère mieux. Nous avons été heureuses de trouver quelques matelots bien complaisans. En pareil cas, on n’y regarde pas de si près. A la mer connue à la mer!

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Pendant notre entretien en camp volant, Mme Hansler était parvenue à coiffer la princesse, à compléter sa toilette, et Dieu sait les immenses difficultés de cette double opération tout à fait passive pour son altesse royale! Elle ne s’y refuse pas, mais elle ne s’y prête pas; aussi la femme de chambre a besoin de beaucoup d’adresse et d’une patience à toute épreuve pour arriver au but. Madame s’arrête à peine pour lire quelque article d’un journal; elle écrit debout et au crayon des notes sur un album, des réflexions, des dates: puis elle ouvre tous les tiroirs de son bureau, bouleverse des papiers, poursuit de son lorgnon quelque objet rebelle à ses recherches, et s’inquiète peu des efforts de Mme Hansler pour placer convenablement un bonnet, un fichu, pour serrer un cordon ou une ceinture. Cette petite scène d’intérieur m’a paru fort divertissante. Je suis enchanté de voir que Madame ne se gêne pas pour moi; au milieu de cette conversation à bâtons rompus, elle parle, jase, rit, plaisante; je lui trouve une humeur charmante. Nous avons beaucoup parlé de sa grossesse. Elle entre pleinement dans son rôle de femme enceinte; toutes ses actions sont en harmonie avec cette situation. Madame a remarqué que cette grossesse différait notablement des précédentes, ce qui s’explique assez bien par les conditions physiques et morales au milieu desquelles elle s’est trouvée depuis six mois. On sait que ces sortes de conversations sont inépuisables entre les. dames et les médecins; aussi avons-nous devisé sur ce sujet pendant plus d’une heure.

Je fais glace à la postérité de cet entretien par trop technique...