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torts, s’il y en a. Je n’entends rien à vos lois ; je ne suis plus Française, je veux vivre obscure et tranquille. Mais il me semble que je pourrais essayer une chose. Pourquoi le gouvernement ne m’a-t-il pas demandé une déclaration par laquelle je m’engagerais à me retirer dans un lieu déterminé sans plus me mêler en rien aux affaires et à la politique? On pourrait, je pense, s’en rapporter à moi. Je ne suis pas femme à manquer à ma parole.

— Madame veut-elle m’autoriser à transmettre cette proposition à qui de droit? Veut-elle que je l’envoie directement à M. d’Argout, ou que je charge le général de ce soin?

— Non pas, s’il vous plaît : avant huit jours, je la lirais dans le Moniteur et je n’en serais pas plus avancée. Et puis, le gouvernement aime bien mieux me voir mourir ici ; c’est son désir et son espoir. A la suite d’un acte de naissance, on inscrira un acte de décès, et tout sera fini pour moi. On s’obstine à me prêter une importance politique que je n’ai réellement pas; mais cela convient aux ministres; cela légitime ce qui a été fait contre moi et ce que l’on prépare encore. Et pourtant, faible femme que je suis, brisée de fatigue, accablée de douleurs et de chagrins, si on me donnait la liberté aujourd’hui, à cet instant même, je partirais, dussé-je aller seule et à pied jusqu’en Espagne, et mourir en y arrivant. Je suis bien mal ici, certes, mais quand bien même on me donnerait un palais pour prison, quand on m’y entourerait d’égards et de soins, je n’en sentirais pas moins la privation de la liberté. Une cage dorée n’en est pas moins une cage, et il n’y a si chétif oiseau qui ne la quitte pour aller au désert.


II.

Ce fut sur ces entrefaites, et comme il envoyait sur l’état de santé de la princesse « des rapports que l’on trouvait à Paris de plus en plus alarmans, » que le docteur Ménière fut appelé brusquement à venir donner des explications orales sur l’objet de sa mission. Elles étaient faciles, comme on va le voir par les extraits qui suivent et que nous reproduisons dans leur teneur authentique, depuis sa première visite à M. d’Argout jusqu’à son départ, de nouveau, pour son poste.


Paris, samedi, 30 mars.

Exact au rendez-vous, j’ai vu arriver presque aussitôt que moi MM. Orfîla et P. Auvity, et nous avons été introduits chez M. le