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ils subordonnent tout aux exigences de l’état; les mesures les plus rigoureuses sont adoptées sans peine, sans scrupule, dès qu’il s’agit de l’intérêt général. Ma nièce s’est trouvée soumise à cette fatalité, rien n’a pu la soustraire à cette volonté inexorable. Enfin vous savez ce que le conseil des ministres a décidé hier au soir à son égard.

Ainsi, monsieur, vous pourrez dire à Mme la duchesse de Berry que sa destinée actuelle n’a pas dépendu de moi, que je gémis, comme parent, sur les ennuis qu’on lui impose, mais que je n’ai pu lui éviter. Vous lui direz que le roi n’est pas libre de faire ce qui lui conviendrait le mieux, que la raison d’état, invoquée par It s ministres responsables, est une loi à laquelle je me soumets, quoiqu’à regret, et que les liens de famille doivent céder à des considérations d’ordre supérieur. Vous lui direz encore que, par le temps qui court, quand l’émeute est dans la rue, quand des assassins à gages se relaient pour me tuer, quand la guerre civile est à peine assoupie dans la Vendée et que la presse la plus ardente enflamme toutes les passions populaires, la position d’un roi constitutionnel est à peine tenable, et qu’en vérité, je serais parfois tenté de quitter la partie et de mettre la clé sous la porte.

La phrase est textuelle, je la rapporte comme je l’ai entendue, dans toute son énergique crudité.

Le roi s’est tu. Il m’a paru douloureusement affecté, et après un instant de silence, il a poursuivi en ces termes :

— A chacun son lot. Ma nièce supporte difficilement le malheur qui l’accable; je la plains de tout mon cœur et je désire que vous lui veniez en aide. J’espère que sa santé s’améliorera par vos bons soins et que vous contribuerez à tranquilliser son esprit malade. La reine aurait voulu vous voir, monsieur le docteur, pour vous recommander Mme la duchesse de Berry, mais vous comprendrez le sentiment de pudeur qui la retient. La position de notre nièce est de nature à froisser tous ses instincts de femme et de parente, elle n’a pas eu le courage de surmonter l’embarras que lui causerait cette entrevue, et vous voudrez bien l’excuser.

J’ai cru devoir dire en ce moment que Mme la duchesse de Berry avait déclaré qu’elle était mariée, et que tout dans sa conduite, dans ses paroles, depuis que j’avais l’honneur d’être admis auprès d’elle, m’avait paru en harmonie complète avec sa déclaration.

Le roi m’a dit alors avec beaucoup de vivacité :

— Ce que vous me dites là me fait le plus grand plaisir; j’en ferai part à la reine, qui n’en sera pas moins heureuse que moi. Partez donc, docteur, retournez à Blaye, achevez ce que vous avez si bien commencé. Mme la duchesse de Berry ne pouvait mieux faire que vous donner sa confiance, vous êtes très digne de l’inspirer, et