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M. Lhéritier fort divertissant sous la casquette galonnée d’un ancien homme du monde, ruiné par la galanterie, devenu chef de gare en province, et qui, pour le plaisir des jolies femmes, fait attendre les trains. On y voit M. Hyacinthe, désopilant sous la toque blanche d’un hôtelier plein de civisme, qui dit au sous-préfet et à sa femme nouvellement débarqués : « Puisque vous êtes de si bons républicains, je vous ferai boire du vin que je garde pour les réactionnaires! «Mais l’action ne se poursuit pas entre Babette, Gévaudan, Gaston, la cousine et l’oncle de façon à fournir aux caractères aperçus dans le premier acte l’occasion de s’exprimer de plus en plus nettement. Gévaudan et Babette appartiendraient tous les deux au personnel banal des mannequins de vaudeville qu’ils pourraient nous faire rire par ces mêmes allées et venues, ce même piétinement, ces mêmes gestes.

Ce n’était pas la peine, pour gagner cette partie, de faire voir d’abord un pareil enjeu, et nous-mêmes, après ce commencement, nous étions mis en trop grands frais d’attention et d’estime. De quoi vous plaignez-vous? pourront dire les auteurs : de ce qu’au début nous vous avons donné un peu plus que vous n’étiez en droit d’exiger ici? Oui, justement de cela. Quand, aux Variétés, MM. Hennequin et Millaud nous présentent Lili, un vieux vaudeville rajeuni pour permettre à Mme Judic de se montrer dans une nouvelle pièce, ils se gardent bien de nous donner d’abord aucune illusion; ils jugent l’ouvrage à sa valeur, et ne cherchent pas à le surfaire; ils sont contens et nous le sommes presque, si, au deuxième acte. Mme Judic chante une chanson ordurière avec la finesse et la grâce dont elle ne peut se départir, et si, au troisième, dans une scène renouvelée des Vieux Péchés, M. Dupuis trouve l’emploi de son remarquable talent de comédien. Ajoutez un rôle d’une fantaisie bouffonne pour M. Baron, qui aura eu « le cerveau gelé pendant l’hiver de 1795, » et, grâce à l’entente merveilleuse qui existe, dans ce théâtre des Variétés, entre les comédiens et le public, il est probable que la pièce aura deux cents représentations. Si les auteurs pourraient faire mieux, nous n’avons pas le droit de le savoir : nous serions mal venus à leur reprocher la qualité du plaisir qu’ils nous procurent. Au contraire, MM. Meilhac et Gille ont eu l’imprudence de nous laisser entrevoir des trésors : nous ne pouvons nous défendre d’un peu de mauvaise humeur quand ils nous referment la porte au nez et ne nous en donnent plus que les bagatelles.

Les auteurs du Mari à Babette auraient-ils pu, à la fin, marier leur héroïne au vicomte, s’ils avaient, comme je le voulais tout à l’heure, transporté leur pièce à la Comédie-Française? J’en doute fort, ou du moins j’ignore quel chemin ils auraient dû prendre pour arriver à ce dénoûment. Il est tel mariage, fort séant au Palais-Royal et qui ne choque pas sur cette scène le sentiment du public, auquel ce même public, dans un théâtre sérieux, refuserait son consentement. Pourtant