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ne s’est pas tenu au scepticisme, il l’a traversé, il en a donné la plus complète, la plus vive, la plus franche théorie. Or on ne se convertit guère du scepticisme ; on s’y endurcit, justement par les efforts qu’on fait pour en sortir. Même celui qui réussit en apparence à y échapper en garde une empreinte ineffaçable, comme un fond de fièvre mal assoupie et toujours prête à se réveiller.


I.

Le petit livre qui nous occupe porte en tête un mot bizarre de quatre lettres, QHLT, qui, pris en lui-même, n’a pas d’explication satisfaisante. C’est le nom même du personnage qui, dans tout le livre, tient la parole. Le livre, en effet, n’est pas autre chose qu’un discours, une sorte de confession, mêlée de conseils, que l’auteur place dans la bouche d’un certain QHLT, qu’il suppose avoir été fils de David et roi de Jérusalem[1]. On s’aperçoit bien vite que QHLT n’est qu’un mot de passe pour désigner Salomon. On a d’autres exemples de ces noms fictifs dans les livras sapientiaux[2]. QHLT, fils de David, a été un roi puissant, bâtisseur, jouisseur, livré aux femmes, au vin, à la sagesse, savant paraboliste, curieux de toutes les choses de la nature. Ce sont là exactement les traits sous lesquels l’histoire et la légende présentent Salomon. Nul doute que l’auteur, qui sûrement connaissait les Proverbes attribués aussi à Salomon, n’ait voulu mettre en scène le successeur de David. Ce roi célèbre lui a paru un personnage commode pour l’objet qu’il se proposait, c’est-à-dire pour montrer la vanité de toute chose. Salomon, ayant vu le sommet de la gloire et de la prospérité, a été mieux placé que personne pour découvrir le creux absolu de tous les mobiles de la vie humaine et la complète frivolité des opinions qui servent de base à la société.

L’auteur a-t-il voulu, comme tant d’autres, comme l’auteur alexandrin de la Sagesse, par exemple, attribuer un livre de plus à Salomon? L’Ecclésiaste est-il un apocryphe, un des écrits de cette vaste littérature pseudépigraphe qui, de Judas Macchabée à Barkokéba, n’a cessé de se montrer féconde en productions variées? Pas précisément. Quand un auteur juif des siècles qui avoisinent notre ère prenait, pour inculquer quelque forte pensée à ses contemporains, le manteau d’un ancien prophète ou d’un homme célèbre, tel que Moïse, Hénoch, Baruch, Esdras, il prétendait bel et bien faire admettre sa prose comme l’œuvre de ces antiques personnages, et généralement on le croyait ; car aucune idée de critique littéraire

  1. Comparez Prov., t. I.
  2. Prov., ch. XXX et XXXI.