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Je me suis toujours obstinément souvenu d’une vieille romance dont la rime n’est pas riche, dont le style n’est pas vieux, mais à laquelle mon enfance trouvait je ne sais quel charme mystérieux :

Nos rêves s’envolent
Comme des oiseaux,
Des rêves nouveaux
Bientôt nous consolent.


Je ne puis dire, à la vérité, que le cours de la vie ait pour moi répondu aux promesses de ce refrain plein d’espérance. J’ai eu, comme tous les enfans des hommes, beaucoup de rêves qui se sont envolés « comme des oiseaux, » mais j’en suis encore à attendre les rêves nouveaux qui devaient me consoler des anciens. Cependant, de tous ces rêves d’enfance, le plus chéri avait toujours été celui d’un voyage en Amérique, rêve nourri chez moi par la lecture assidue des romans de Cooper. A douze ans, je partageais les colères de Bas-de-Cuir contre cette civilisation prosaïque qui défriche les forêts, qui défend aux hommes de vivre du produit de leur chasse, et j’étais résolu, comme le Trappeur, à chercher un refuge contre ses envahissemens dans les prairies du Far-West, où, ma carabine sur l’épaule, je pourrais du moins suivre l’Indien à la piste et renouveler les exploits d’Œil-de-Faucon. À ce beau dessein avait succédé avec les années un projet plus modeste et d’une exécution plus facile, celui de faire un séjour prolongé aux États-Unis et de traverser, au moins dans sa largeur, ce continent encore sauvage où le chemin de fer précède la civilisation. Puis, à l’une comme à l’autre entreprise, les années, les devoirs et ces doux liens qui enchaînent l’homme sans lui faire regretter sa liberté, m’avaient amené à renoncer, lorsque la nation américaine s’est avisée, par l’organe de ses représentans et de ses plus illustres citoyens, d’inviter au centenaire de la capitulation de York-Town les descendans des anciens officiers de l’armée commandée par le marquis de Rochambeau. Un mien grand-père ayant servi dans cette armée, je me suis trouvé, tout à fait inopinément, compris dans cette invitation. Cette fois, c’était bien un rêve nouveau qui venait se poser devant moi. Je n’ai pas voulu le laisser s’envoler comme un oiseau, car il ne serait probablement pas revenu, et c’est ainsi que, le 24 septembre de l’année dernière, je me suis embarqué au Havre sur le paquebot de la compagnie Transatlantique, le Canada, où se trouvaient réunis tous ceux qui se rendaient comme moi, à des titres divers, aux fêtes d’York-Town.

Bien qu’il n’y ait pas aujourd’hui moins de six grandes compagnies dont les bateaux font chaque semaine, dans les deux sens, la traversée de l’Atlantique, et bien que cette traversée ne présente plus guère d’autres risques que ceux inséparables de toute expédition