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l’Arc-de-Triomphe en remontant l’avenue Marceau, rejoindrait la gare Saint-Lazare par le boulevard Haussmann ? Pourquoi ne pas préférer un chemin de fer aérien qui coûterait environ 400,000 francs Le kilomètre à un chemin de fer souterrain qui en coûtera 3 millions? Pourquoi? Parce que nous sommes un peuple artistique qui a horreur du laid et parce que la vue de ce chemin de fer gâterait l’aspect de quelques-unes de nos plus belles voies de communication. Je dois dire, à la vérité, que les Américains, beaucoup plus aristocrates qu’on ne le croit en matière d’édilité publique, n’ont eu garde de faire passer le chemin de fer dans Fifth-Avenue, où l’on ne souffre même pas de tramways. A plus forte raison, n’établirons-nous pas à Paris un chemin qui suivrait le boulevard Haussmann. Mais combien de temps les lois de la concurrence entre les nations nous permettront-elles de sacrifier ainsi l’utilité à l’élégance? C’est une question que l’avenir décidera,.. et puis, au fond, je ne tiens pas beaucoup moi-même à mon tracé.

Nous prenons donc ce chemin sans itinéraire bien déterminé et fort intéressés par cette manière d’aller tout à fait nouvelle pour nous. Nous pénétrons par des rues très étroites au cœur de La vieille ville, nous passons à l’endroit d’où nous avons débarqué la veille, et nous admirons de nouveau l’éclat de la baie par un beau soleil. Enfin, nous arrivons en vue de deux formidables piles de granit que nous avions déjà remarquées la veille et qui sont destinées à supporter un immense pont jeté au-dessus de l’East-River. Ce pont doit rejoindre Long-Island au continent et la ville de Brooklyn à celle de New-York. La fantaisie nous prend d’examiner de plus près cet immense travail. Nous quittons le chemin de fer, et pour franchir l’East-River, nous nous embarquons sur un de ces immenses ferry-boats qui peuvent transporter à la fois quinze ou vingt voitures et des centaines de passagers. Même pour une traversée qui dure dix minutes, il y a une cabine réservée pour les dames. Tout en traversant, nous remarquons que, si le tablier du pont n’est pas achevé, il y a déjà une passerelle qui est jetée du sommet d’un des piliers à l’autre et qui sert probablement au passage des ouvriers. Nous nous promettons, si faire se peut, de revenir par ce chemin, et après avoir débarqué dans Brooklyn, qui, pour être une ville de cinq cent mille habitans, n’en est pas moins, à l’aspect, aussi différente de New-York que le faubourg Saint-Antoine l’est du boulevard des Italiens, nous nous mettons en quête du bureau de l’ingénieur, sans une permission duquel nous ne pourrons, nous dit-on, revenir par la passerelle.

Nous finissons par trouver ce bureau, non sans peine. Je frappe, j’entre et je me trouve en présence d’un personnage aux cheveux ébouriffés, étendu dans un fauteuil, les pieds sur son bureau. C’est