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ce n’est pas la bonne. La révolution a ses défenseurs et ses ennemis, et les uns et les autres demandent des armes à l’histoire. L’ancienne France est leur champ de bataille : ils l’étudient, mais comme deux armées un champ de bataille, pour y saisir les accidens de terrain favorables, sans nul souci des vertus du sol ni des moissons qu’il a portées. Nous sommes des polémistes, et la vérité court risque de subir des attentats au cours des polémiques. Nous plaidons une cause perpétuellement; or quel avocat n’a jamais menti, au moins par omission de parties gênantes de la vérité? Prenant pour point de départ l’heure où nous vivons et pour cortège les préjugés du parti politique où nous sommes enrôlés, nous allons demander au passé la preuve que nous pensons juste et que nous agissons bien. Pour citer un exemple, Augustin Thierry avait entrepris d’immenses recherches sur l’histoire du tiers-état. La sincérité de son esprit ne saurait être mise en doute. Il la prouve en déclarant dans la préface d’une édition de son Essai sur le tiers-état, parue après 1848, qu’il ne comprend plus la suite des événemens depuis la révolution de février, attendu que toute l’histoire de la France lui semblait aboutir par une sorte de voie providentielle au régime de la royauté de 1830. La tentation est très naturelle de croire que le moment de la durée indéfinie où notre vie s’écoule ne ressemble point aux autres, que nos ancêtres ont travaillé pour nous tout justement et que les institutions de notre choix sont les meilleures; mais il y faut résister vigoureusement, si elle est capable de nous induire à croire que toute l’ancienne France ait été en gestation du règne de Louis-Philippe.

Entre ces partis qui se combattent et ces avocats qui se querellent, la neutralité tranquille, qui est l’état nécessaire de l’historien, est difficile à garder. Elle suppose le courage, qui n’est pas une vertu banale, car notre pays est un de ceux où l’on pèse le mieux les risques auxquels on s’expose à parler hardiment sur l’histoire. L’habitude prise de la rajeunir, de l’accommoder aux idées et aux goûts de la vie présente et de l’animer de nos passions, fait que l’on suppose toujours une intention à l’historien le plus désintéressé. Si l’on fait mine seulement d’essayer la critique des hommes et des choses de la révolution ; si même, sans penser à mal, on se plaît à raconter telle période du XIIIe siècle, où nos ancêtres ont vécu heureux sous un régime conforme à leurs idées et à leurs croyances, on passe clérical et réactionnaire. On est terroriste et jacobin si l’on reproche à la monarchie en décadence les fautes et les crimes par lesquels elle a détruit le persévérant amour des Français pour leurs rois. C’est donc une mauvaise condition que celle de l’historien en France. Il n’a pas de public pour entendre l’histoire impartiale