Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Annandale réintégré dans ses droits d’autrefois. Dirai-je qu’il était temps? L’illustre tragédienne, lasse de ne pas aimer, avait parfois des tentations singulières et tout à fait shocking.

Mais c’est ici que je voudrais bien avoir sur le roman de M. de Goncourt l’opinion de M. Zola. M. Zola, qui s’est si éloquemment moqué du roman d’aventures, de ce roman « où les princes se promenaient incognito avec des diamans plein leurs poches, » que peut-il bien penser, dans le secret de son cœur, de ce lord Annandale jetant l’or à poignées par les fenêtres et, dans son hôtel de Paris, régnant du jour au lendemain sur une cinquantaine de domestiques anglais, sans compter le service de Madame? M. Zola, qui s’est si agréablement moqué du roman idéaliste, comme il l’appelle, de ce roman « où des amours triomphales enlèvent les amans dans le monde adorable du rêve, » que peut-il bien penser, à part lui, de cette tendresse passionnée que M. de Goncourt donne à son Anglais pour sa tragédienne, « galanterie presque divinisée, liaison sensuelle dans le bleu, amour physique en de l’idéalité, » et tout le galimatias que j’épargne au lecteur? M. Zola, qui s’est si durement moqué du roman descriptif, de ce roman où l’on entassait « tout ce qu’on peut imaginer de plus fou et de plus riche, toute la fantaisie d’or des poètes, » que peut-il bien penser, en son for intérieur, de la prodigalité de richesse et de folie dont M. de Goncourt n’hésite pas à faire preuve toutes les fois qu’il a besoin de changer le cours nécessaire des choses et de sacrifier à l’arbitraire de sa fantaisie jusqu’aux plus élémentaires exigences du naturalisme? De quel œil croirons-nous que l’auteur de Pot-Bouille ait pu lire la Faustin ? Mais de quel front M. de Goncourt osera-t-il aborder M. Zola?

Vous avez deviné que lord Annandale devenait jaloux, selon la formule, des hommages que l’on croyait avoir le droit de continuer de rendre à sa tragédienne. La Faustin quitte donc le théâtre, et les deux amans vont s’installer quelque part dans une villa sur les bords du lac de Constance. Il va sans dire aussi qu’au bout de quelques mois, la Faustin est prise de la nostalgie des applaudissemens. Le mal se manifeste d’une façon tout à fait naturelle. C’est la nuit qu’« échappée des draps » dans un accès de somnambulisme, la Faustin, « en chemise, » au milieu de la chambre, sous la « lumière spectrale » d’un rayon de lune, déclame la tirade d’Hermione :

Où suis-je ? Qu’ai-je fait? Que dois-je faire encore?


Lord Annandale, très surpris, se réveille. Il n’y a plus lieu d’hésiter; il faut partir, il faut voyager. Et déjà tous les deux « étaient dans les occupans préparatifs et l’allègre envolée d’imagination qui précède un voyage, » lorsqu’un matin la maladie tout à coup vient frapper le noble