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complètement de la fatale influence de l’air ambiant. La mort de Parménion, en dépit des formalités qui prétendaient lui avoir donné une sanction légale, fut un crime. Il nous est difficile d’apprécier aujourd’hui si ce fut une faute. On ne saurait cependant méconnaître les funestes effets que cette justice sournoise, qui ressemblait si bien à un attentat, devait infailliblement avoir sur la discipline de l’armée. Il est toujours mauvais d’ériger des soldats en juges et de leur rendre le commandement suspect ; plus désastreux encore de leur montrer l’autorité souveraine occupée à opérer dans l’ombre et par des moyens inavouables. L’alarme était dans le camp ; chacun tremblait et interrogeait avec une secrète anxiété ses souvenirs, se demandant s’il ne s’était pas, à son insu, compromis par quelque fâcheux propos. Bien peu auraient osé interroger leur cœur, car la réponse eût pu être un murmure. Le grand art du pardon consiste à rassurer à fond les consciences malades : vous promettrez en vain votre indulgence aux gens qui vous ont trahi, si vous ne parvenez à bien les convaincre que vous ignorez les noms des traîtres. « Les malheureux ! ils croient que nous le savons ! » est un mot charmant ; c’est en même temps un mot fort habile, un mot profondément politique.

Alexandre jugea non sans raison que la sourde inquiétude qui lui était de toutes parts signalée, devenait un symptôme de mécontentement infiniment plus grave que ne l’eût été le tumulte passager d’une sédition ouverte. Une loi sauvage, propre à la Macédoine, rendait solidaires de tout crime capital les parens des coupables ; le roi fit proclamer que cette loi terrible ne recevrait pas son application. Plusieurs des amis de Philotas, dans le premier moment d’effroi, avaient pris la fuite : ramenés au camp, ils eurent toute liberté pour plaider leur cause, et l’armée, par un de ces reviremens soudains sur lesquels néanmoins il sera toujours imprudent de compter, trouva bon d’écouter avec une certaine faveur leur défense ; elle se donna même le royal plaisir de les absoudre.

Cette disposition à la mansuétude fut malheureusement de courte durée. Alexandre Lynceste, gendre d’Antipater et ami d’Antigone, fit la cruelle épreuve des mouvemens capricieux des foules. Depuis trois ans, il était détenu, sous la prévention d’avoir, en Cilicie, tramé, à.la suggestion de Darius, le meurtre du roi ; un zèle intempestif évoqua ce vieux procès. Alexandre de Lynceste comparut devant le tribunal populaire. Il s’y présentait à une mauvaise heure, le monstre à jeun n’était plus en veine de clémence. Le trouble de l’accusé le perdit ; les soldats lui laissèrent à peine le temps de murmurer quelques mots ; ils le percèrent de traits au milieu de sa harangue.

Il se passa plusieurs mois avant que ces nouvelles lugubres parvinssent en Grèce. Atteint dans la personne de son gendre,