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et pâle figure de l’archiduchesse Claire-Eugénie, avec ses yeux fixes et son bec crochu d’oiseau de proie, immobile sous son costume austère des clarisses qu’elle ne quitta plus depuis la mort de son mari. Le musée de Turin possède l’original, et le Louvre une excellente répétition (n° 145). L’exactitude parlante de cette image le mit tout à fait bien en cour. Dès lors, il fut question de lui pour de grands travaux.

Malgré ces encouragemens multipliés, l’âme inquiète de l’artiste s’accommodait toujours mal de la régularité froide des habitudes flamandes ; ses regards ne cessaient de se tourner vers l’Angleterre, où l’appelaient ses meilleurs amis d’Italie, faisant luire à ses yeux l’attrait d’une vie facile au milieu d’une société cultivée. En 1627, il retourna à Londres avec l’intention de s’y faire présenter à la cour. Il était descendu chez son compatriote Geldorp, conservateur des tableaux du roi, peintre médiocre, intrigant habile, négociateur d’affaires délicates, quelque peu entremetteur, dont la grande maison de Drury-Lane servait d’auberge aux artistes étrangers, de magasin aux brocanteurs, et de rendez-vous, dit Walpole, aux galans du grand monde. La protection du comte d’Arundel eût été plus sérieuse si le duc de Buckingham n’eût à ce moment accaparé toutes les faveurs royales. Deux peintres de mérite, protégés par Buckingham, deux Hollandais, Daniel Mytens et Cornelis Jansen Van Ceulen, étaient prêts d’ailleurs à bien défendre leurs titres de peintres officiels[1]. Van Dyck ne put voir Charles Ier et revint à Anvers. Cette tentative infructueuse pour changer sa destinée détermina en lui une crise morale dont il sortit victorieux. Dès son retour, virilement résigné à sa situation, il se mit au travail avec un renouvellement d’énergie, et, durant trois années, produisit sans relâche. C’est la période la plus noblement laborieuse de sa vie.

Coup sur coup, en effet, on le voit achever le grand Saint Augustin en extase, commandé par le père Marinus Jansenius pour l’église des Augustins à Anvers, les Crucifiemens de Saint-Michel à Gand et de la cathédrale à Malines, et l’immense composition de l’hôtel de ville de Bruxelles, le Conseil échevinal, qui faisait face au Jugement de Cambyse, par Rubens, et dans laquelle étaient groupés vingt-trois personnages[2]. Plusieurs faits prouvent qu’un grand calme s’était établi à ce moment dans son esprit et qu’il acceptait, avec une tranquillité complète au moins en apparence, les nécessités de la vie régulière dans laquelle il était rentré. En 1628, il se fait affilier à la confrérie des célibataires, dirigée par la société

  1. Cette année même, Mytens venait de faire le beau portrait en pied de Charles Ier qui se trouve au musée de Turin (n° 415).
  2. Les deux peintures furent anéanties par un incendie lors du bombardement de Bruxelles par le maréchal de Villeroy (1685).