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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

sion ; auquel cas il se représente leur mine assez piteuse, quand elles reviendront en grondant s’asseoir au fond du coffre vide qui leur sert de demeure. Sans doute, Simonide, dont il a soin de rappeler le souvenir, avait été l’hôte bien rétribué des Aleuades et des tyrans de la Sicile ; et Pindare lui-même, tout en regrettant le temps « où la muse n’était pas mercenaire, » loue la générosité des vainqueurs opulens pour lesquels il « cueille des fleurs dans le jardin des Grâces ; » mais quelle différence de ton et de situation, et comme la poésie est descendue depuis deux siècles !

C’est qu’aussi elle a beaucoup produit et que la force lui manque en même temps que la hauteur de l’inspiration. En lisant Callimaque et Apollonius, on s’aperçoit bien que depuis longtemps l’âge de la grande épopée, celui du drame et du lyrisme, sont passés. Un pareil épuisement n’a rien qui doive surprendre ; on peut s’étonner, au contraire, qu’il soit si tardif et qu’il laisse encore assez de sève pour tant d’œuvres intéressantes qui remplissent la période alexandrine, et d’abord pour les idylles de Théocrite. Reconnaissons comme le premier mérite de cet aimable poète, comme celui qui le tire absolument de pair dans cette période de médiocrité féconde, d’avoir eu le sens de lui-même et de son temps, d’avoir proportionné son ambition aux ressources de l’âge auquel il appartenait, comme à celles de son heureuse nature. Sans cela ses qualités originales auraient avorté.

Ce soin volontaire de se limiter est nettement marqué chez lui. Non-seulement il restreint le champ de la poésie et la réduit à un ton plus modeste, mais il s’enferme dans des formes très déterminées. Il est vrai qu’on peut dire en un sens que les grands lyriques n’avaient pas fait autre chose : quoi de plus déterminé que les lois du rythme et du mètre qui régissent leurs strophes ? Mais les formes rythmiques et métriques, variées presque à l’infini par la richesse de leur invention, étaient pour eux des moyens de rendre la pensée ; elles donnaient à l’expression sa variété, sa souplesse, sa puissance ; elles ne s’appliquaient pas à l’idée poétique comme des soutiens ou des entraves, elles faisaient corps avec elle ; c’étaient la poésie même. Dans les pièces bucoliques de Théocrite, les formes extérieures sont des moules et des cadres étroits, dont l’uniformité n’est nullement favorable à son expansion. C’est précisément pour cela que le poète les choisit ; il ne veut pas se répandre ; il ne vise au grand ni par le sujet ni par les aspects qu’il présente de préférence. Ce qu’il recherche, c’est une élégance et une grâce d’un genre particulier, c’est une certaine unité, ou du moins une certaine gamme de teinte et d’harmonie musicale où il veut se maintenir.

Voilà pourquoi il parle un dorien plus voisin en général de la langue familière que de la langue poétique, dont la saveur naturelle