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dans sa lande natale, au bord de l’étang désert, le murmure du jonc flétri. Le soleil couchant glace un moment de teintes rosées le ruban argenté du fleuve, puis la nuit tombe, et les heures seraient assez longues à passer, si nous ne les employions à faire connaissance avec les membres de la délégation que la ville de Baltimore a envoyée au-devant de nous. Je crois m’apercevoir à certains indices que tous n’appartiennent pas au même monde. Voici, en causant avec les uns et avec les autres, quels élémens je démêle : la municipalité de Baltimore, représentée en l’absence du maire par plusieurs membres du conseil de ville, dont le personnage le plus important est un fabricant de chaussures ; l’association des marchands (ce que nous appellerions la chambre de commerce) représentée par son président, un des principaux négocians de la ville ; la société et les clubs, représentés par quelques membres sans titre bien défini ; enfin plusieurs Français d’origine, établis à Baltimore ou naturalisés depuis peu, mais ayant conservé, avec l’habitude de parler la langue de leur ancienne patrie, une fidélité de souvenirs et d’affection qui donne quelque chose de singulièrement cordial à leur manière d’être avec nous. Non-seulement cette délégation de Baltimore représente un peu, comme on le voit, toutes les classes de la société (j’engage les gens qui croient qu’il n’y a pas de classes en Amérique à y aller simplement voir), mais dans la grande querelle qui a partagé l’Amérique, il y a quelques années, tous n’ont pas suivi le même chemin. Un ancien général des armées du Nord s’y rencontre avec un ancien officier de l’armée du Sud. « Cela n’empêche pas, me dit ce dernier en riant, que nous ne fassions très bon ménage ensemble. » En effet, bien que l’état du Maryland n’ait pas fait partie, pendant la guerre de sécession, de la Confédération du Sud, cependant il s’en faut que l’opinion dominante fût en majorité favorable à la cause du Nord. La ville de Baltimore tomba même un moment au pouvoir du parti séparatiste, et si elle n’avait pas été aussitôt reprise, et l’état occupé militairement, il est possible que la cause du Sud y eût trouvé, au nord même de Washington, un vigoureux appui. Nous entrons donc dans une atmosphère politique nouvelle, et je me promets d’observer avec soin tous les petits symptômes qui pourront m’éclairer sur le véritable état des esprits.

Enfin nous arrivons à Baltimore, et, vu l’heure avancée, notre entrée n’a rien qui rappelle la solennité de notre débarquement à New-York. Nous montons bourgeoisement dans les voitures qui nous attendent à la gare et nous conduisent directement à l’hôtel de Mount-Vernon. Nous y trouvons le maire de la ville, qui nous adresse quelques paroles de bienvenue, et c’en est fini des cérémonies officielles pour la soirée. En attendant l’arrivée, toujours fort