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de toilettes fraîches, mais cette indigence nous ayant paru peu vraisemblable chez des Américaines, il a fallu convenir qu’elles avaient craint de se commettre dans un bal nécessairement donné par souscription, où la majorité des femmes présentes m’a paru, en effet, appartenir plutôt à la catégorie des vendeuses de Charles-street qu’à celle des acheteuses. Nous l’avons regretté, mais nous n’avons pu le trouver mauvais, nous disant que certes maintes Parisiennes n’auraient jamais voulu venir à un bal par souscription. Ce petit incident bien futile m’a confirmé cependant dans l’idée que par tout pays certaine classe de la société a mêmes habitudes, mêmes instincts, et j’ajoute qu’il faut n’avoir point été en Amérique pour en douter.

Le lendemain, nous partons pour Washington. Les membres du comité nous accompagnent jusqu’à la gare et, du haut de la plateforme de notre wagon, le général Boulanger adresse en notre nom à tous quelques paroles de chaleureux remercîmens à ceux qui se sont donné tant de peine pour nous rendre agréable le séjour de leur ville et qui y ont si bien réussi. Ils poussent trois hurrahs en l’honneur de la France, nous poussons trois hurrahs en l’honneur de Baltimore, puis notre train se met en marche, et, après un parcours de deux heures dans un pays insignifiant, nous arrivons à Washington.


WASHINGTON.

14-16 octobre.

Washington, où nous avons débarqué dans l’après-midi, est une ville unique aux États-Unis. Conçue d’après un plan, elle a été exécutée sur un autre, et elle offre des contrastes qui lui donnent un aspect singulier. Lorsque, sous l’inspiration de Washington, l’architecte Andrew Ellicott en dessina le tracé, il l’avait ainsi imaginée : au centre, un immense monument public, le Capitole, situé sur une petite hauteur et qu’on apercevrait de tous côtés ; dix grandes avenues de plusieurs milles de long, aboutissant toutes sur la place, au milieu de laquelle le Capitole serait situé, et une quantité innombrable de rues coupant ces avenues à angle droit, aigu ou obtus. Cette conception fort grandiose supposait que la ville choisie pour siège du gouvernement deviendrait aussi un grand centre de population et que son développement commercial serait égal à son importance politique. Mais on ne commande pas aussi facilement à l’activité humaine et, même aux États-Unis, lorsque Washington propose, c’est encore Dieu qui dispose. Or Dieu a disposé que la capitale des États-Unis ne deviendrait jamais une ville populeuse et industrielle, et il faut avouer que sa situation