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contradictions qui nous sont trop ordinaires, ce même pays de France où l’on se pique, par mode, par fatuité nationale, plutôt que par conviction, je le crains, de s’intéresser aux choses d’art traditionnellement, était de tous les pays d’Europe celui où l’on avait certainement, sur l’histoire élémentaire de l’art, d’abord le moins de connaissances précises, et ensuite le moins de moyens d’en acquérir. Qu’il y eût là, sans contestation possible, une lacune à combler, c’est évident, et c’est pourquoi je ne sache pas que personne ait eu seulement la pensée de blâmer la fondation d’une chaire d’esthétique et d’histoire de l’art au Collège de France.

On dira peut-être qu’il y avait une chaire d’esthétique à l’École des beaux-arts. C’est vrai. Elle a même été occupée, elle l’est encore comme on ne peut guère se flatter que la chaire du Collège de France elle-même le soit souvent. Les doctrines de M. Taine, qu’on les partage ou non, — et, pour notre part, nous ne les partageons qu’à moitié, mais ce n’est plus là le point, — laisseront une trace plus profonde peut-être qu’aucune autre doctrine esthétique, depuis Schelling et depuis Hegel, dans l’histoire de la pensée contemporaine. Seulement, l’École des beaux-arts, en dépit de la liberté du régime intérieur, est une école spéciale, une école fermée, j’oserais presque dire, au risque d’offenser plus d’un amour-propre, une école secondaire, où l’on forme des élèves, quoi qu’ils en aient, pour une espèce de service public. La nature des cours y est déterminée par les exigences d’un programme qui, pour n’être pas écrit sur le papier, n’en est pourtant pas beaucoup moins rigoureusement défini que dans les autres écoles. Un professeur à l’École des beaux-arts est plus libre assurément de la distribution des matières de son cours qu’aucun professeur à l’École polytechnique, par exemple, ou à l’École normale : il n’en est évidemment pas le seul maître, et il y a des considérations qui règlent son caprice, des convenances qui restreignent sa liberté, des obligations enfin qui bornent expressément son choix à quelques-unes des provinces de l’histoire de l’art. Concevez-vous, en effet, qu’un professeur de l’École des beaux-arts allât prendre une année pour sujet de son cours l’histoire du mobilier français, ou de la porcelaine de Chiné ? Ou bien encore, admettez vous qu’il se proposât de faire un examen critique des travaux d’érudition dont les peintres vénitiens, par exemple, ou les graveurs français, auraient été l’objet depuis quinze ou vingt ans ? Ce qu’il fallait cependant, et ce qui manquait, c’était bien une telle chaire, vraiment publique, autour de laquelle tout le monde eût accès ; une chaire dont la désignation large permît au titulaire, et selon qu’il lui Conviendrait, sous sa seule responsabilité, de renouveler, chaque année, la matière de son enseignement ; une chaire enfin dont l’occupant n’eût à s’inquiéter que des besoins de la science, et encore de la science