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avec empressement toutes les Vie de Jésus qui paraissent, mais on les quitte toutes avec un certain mécompte. Aucune ne parvient à nous satisfaire entièrement, et l’on n’y trouve jamais tout ce qu’on y cherche. Je ne fais là-dessus aucune exception, et l’entreprise n’a pas mieux réussi aux croyans qu’aux incrédules. Qu’a de mieux à faire un croyant pieux, qui veut raconter la vie du Christ, que de reproduire textuellement les Évangiles ? peut-il avoir l’espérance de composer un récit de la passion qui vaille mieux que celui qu’on trouve dans saint Matthieu ou dans saint Marc ? n’est-ce pas une témérité étrange, presque un sacrilège, de rien changer aux discours de Jésus et d’ajouter quelques banalités vulgaires au Sermon sur la montagne ? Celui qui ne croit pas que les Évangiles soient révélés a le droit sans doute de faire pour eux ce qu’on fait sans aucune contestation pour tous les récits légendaires ; il peut essayer de dégager la vérité des incidens merveilleux qui s’y mêlent et de saisir le fait réel qui a donné à la légende l’occasion de naître. C’est un travail, je viens de le dire, qui est toujours fort délicat ; ici, il me semble encore plus difficile qu’ailleurs. Les Évangiles n’ont été probablement rédigés qu’une cinquantaine d’années après la mort du Christ ; tout ce qui les a précédés est perdu. Nous n’avons donc plus la première forme de la légende, celle où les retouches se distinguent, où les élémens divers peuvent aisément être séparés. L’imagination populaire, pendant un demi-siècle, a transfiguré les souvenirs de la prédication de Galilée et des dernières scènes de Jérusalem. Les versions diverses des mêmes événemens ont été fondues ensemble, les contradictions primitives se sont effacées ou adoucies ; dès lors, entre la réalité et nous, ce travail s’interpose et il ne nous permet plus guère de la voir. La figure de Jésus est devenue si pure, si sereine, si achevée dans les Évangiles, elle a pris un tel relief de douceur divine et de grandeur idéale, elle a fini par dépasser tellement l’homme, que les traits humains qu’on veut y ajouter ne conviennent plus au reste ; ils paraissent, quoi qu’on fasse, mesquins et petits, ils déparent et gâtent l’ensemble. Il n’y a plus moyen, même pour ceux qui ne croient pas que Jésus est un Dieu, de retrouver par quels côtés il peut être un homme, et leurs efforts inutiles pour rabaisser à la terre cette figure ailée, qui sont un scandale pour les dévots, finissent par causer aux incrédules eux-mêmes quelque impatience. Dans ces conditions, je le répète, il n’est guère possible qu’on écrive une Vie de Jésus qui puisse nous satisfaire, et l’on ne doit pas s’étonner que M. Renan, qui l’essayait après tant d’autres, n’y ait pas complètement réussi.

L’œuvre vraiment scientifique de M. Renan commence avec son second volume. Il y raconte comment les apôtres, au lendemain de