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de dire d’une manière générale que le christianisme est venu renouveler le monde, on a fini par lui attribuer une sorte d’efficacité souveraine sur les choses politiques comme sur le reste. Assurément il devait l’avoir à la longue, car il est impossible de corriger les mœurs des individus sans que l’état entier s’en ressente. Mais il ne visait pas d’abord aussi haut. Une association qui n’était pas faite pour durer, des gens qui attendaient le dernier jour dans la prière et l’extase, ne pouvaient pas concevoir l’ambition de gouverner des empires. Jésus avait dit que son règne n’était pas de ce monde, et pendant longtemps les choses du monde n’ont guère intéressé ses disciples. Ce qu’on appelle l’état chrétien n’a été qu’une création fort tardive et toujours assez imparfaite. On ne revient pas de sa surprise quand on voit qu’après Constantin il y a si peu de choses changées dans l’administration des affaires. L’empereur est devenu chrétien, l’empire reste le même. Les abus continuent à fleurir, aucune grande institution n’est créée pour soulager la misère des peuples. C’est à peine si quelques lois trop ouvertement contraires à l’esprit nouveau sont abrogées ou adoucies ; on défend par exemple de mutiler ou d’exposer les enfans : c’est un grand bienfait, mais en même temps le sort de l’esclave est rendu plus dur. On supprime le supplice de la croix, en souvenir de la mort du Christ, mais il semble vraiment qu’on ait aggravé les autres. Jamais les plus petites fautes n’ont été plus durement punies ; la torture est prodiguée, et, pour un mot contre le prince, on est brûlé vif sans pitié. Les récits d’Ammien Marcellin montrent que la guerre se fait aussi cruellement qu’autrefois, et que les années romaines, conduites par le labarum, pillent et massacrent comme elles le faisaient quand elles marchaient à la suite des aigles. Il faut donc reconnaître que l’influence du christianisme vainqueur se fit très peu sentir dans le gouvernement de l’empire et que le monde ne s’est pas beaucoup mieux trouvé des princes chrétiens que des autres. Je ne sais si je me trompe, mais je crois voir dans ces faits une sorte de confirmation des idées que M, Renan a exposées dans son second volume. Selon lui, le christianisme était surtout une réforme sociale, un effort héroïque contre l’égoïsme, une généreuse tentative pour adoucir le sort de ceux qui souffrent. Ce qu’il a fait le mieux du premier coup, c’est ce qu’il était créé pour faire. Il n’est pas surprenant que le reste ne lui ait pas réussi aussi vite. Nous voyons que, même après quatre siècles, il ne garde toute sa force, il ne produit tous ses effets qu’en restant fidèle à l’esprit de ses origines. C’est donc à son origine, dans ses premiers essais d’organisation qu’il faut l’étudier pour voir quels étaient les fruits naturels des leçons qu’il avait reçues de Jésus et dans quelles conditions il possède sa pleine efficacité.