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s’efforçaient depuis plusieurs années de faire comprendre au public. Les finances sont très engagées; elles commencent à être embarrassées; elles exigent impérieusement un changement de système. Les illusions aujourd’hui doivent tomber. Si l’on veut charger l’état des travaux publics nouveaux, sans aucun concours des grandes compagnies de chemins de fer, si les députés continuent à engager de leur propre initiative des dépenses nouvelles, ce n’est pas 500 millions qu’il faudra emprunter, ni un milliard, c’est deux ou trois milliards dans un temps beaucoup plus court qu’on ne pense. A des budgets qui, depuis 1881, ont beaucoup de peine à se solder en équilibre, il faudra ajouter une charge d’une centaine de millions d’intérêts pour les emprunts à effectuer. Alors les dégrèvemens deviendront impossibles; il ne se passera même pas deux ans avant qu’on soit contraint d’établir des impôts nouveaux. M. Léon Say dit, dans son exposé des motifs, qu’il n’y a pas de politique de dégrèvemens. A notre gré, il a tort. Il y a une politique de dégrèvemens, et la France doit la suivre : cette politique consiste dans l’économie, dans le contrôle de la chambre sur elle-même, sur ses propres goûts de prodigalité, dans la renonciation au socialisme d’état, dans l’abandon du procédé qui consiste à rejeter sur l’état seul la charge de tous les travaux extraordinaires. Dans le programme de M. Léon Say, nous ne trouvons qu’un point à critiquer : pas de conversion. La conversion sera bientôt nécessaire; il faudra l’exécuter au plus tard dès le commencement de l’année prochaine pour pouvoir accorder au pays quelques dégrèvemens. Que nos députés réfléchissent à la situation vraiment grave de nos finances; qu’ils pensent aux charges dont nous grèverait la continuation des énormes budgets extraordinaires pourvus par des emprunts publics. Le mandat de la chambre est de courte durée ; les trois ans et demi qu’il lui reste à parcourir seront bientôt écoulés ; que nos députés se représentent quelle sera leur situation devant le corps électoral, si, en reparaissant devant lui en 1885, ils n’ont pas supprimé 200 ou 300 millions de francs d’impôts sur les 500 ou 600 millions de taxes établies depuis la guerre qui sont encore perçues aujourd’hui. La France n’a jamais regardé cette charge comme définitive; elle demande à en être graduellement allégée. Nos représentans doivent donc résister aux aspirations confuses qui les poussent vers le développement indéfini des dépenses. Il faut rentrer sans retard dans la correction financière; il faut renoncer aux desseins gigantesques; sinon, nous ne craignons pas de le dire, malgré la prospérité de nos finances dans ces derniers temps, les déficits sont proches, et la nécessité de relever les impôts se fera bientôt sentir.


PAUL LEROY-BEAULIEU.