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aussi grande chimère que la suppression des nationalités. Chaque région a des minéraux, des plantes, des animaux qui lui sont propres. L’humanité tout entière doit pouvoir jouir de tout son patrimoine, dispersé sur tous les points du globe : c’est pourquoi les obstacles eux-mêmes sont, entre ses mains, devenus des moyens, et les fleuves, les mers, qui semblaient destinés à séparer ses différens groupes, ne servent plus qu’à les rapprocher. Il y a là, c’est indubitable, une loi d’ordre général que nul ne peut violer ni même éluder. Vattel, aux yeux duquel le souverain peut défendre l’entrée de son territoire même « en général à tout étranger » et qui cite, à l’appui de sa thèse, l’exemple donné par les peuples de l’extrême Orient, serait bien étonné s’il voyait aujourd’hui le Japon appeler un professeur de la faculté de droit de Paris et le charger d’habiller ses lois à la française, faire imprimer en français un projet de code pénal à Tokio, à l’imprimerie Kokubunsha, ce projet aborder et résoudre les questions d’extradition les plus délicates, tandis que la Chine ouvre vingt et un de ses ports au commerce étranger, permet à tout Français arrivé dans l’un de ces ports de louer et de bâtir des maisons, d’y construire des hôpitaux, des édifices religieux, des écoles et des cimetières, permet même aux Français qui désirent se rendre dans les autres ports et dans les villes de l’intérieur de s’y rendre en toute sûreté, pourvu qu’ils soient munis de passeports[1], institue enfin à Paris une mission spécialement chargée de former pour le Céleste-Empire des officiers de marine et des ingénieurs en dirigeant l’éducation d’un certain nombre de jeunes Chinois d’après les procédés de la civilisation occidentale. Il n’y a pas un publiciste qui défende aujourd’hui la thèse de Vattel.

Les prohibitions et les expulsions collectives, alors même qu’elles ne sont pas générales, ne sont pas non plus admises, en principe, par la science moderne du droit international. Il n’y a qu’une exception à cette règle : je veux parler du cas où, la guerre étant déclarée., les hostilités vont commencer entre deux peuples. On reconnaît à peu près universellement que les sujets ennemis présens à cette époque sur le territoire d’une des puissances belligérantes (à plus forte raison s’ils y sont entrés dans le cours des opérations militaires) peuvent être invités à se retirer si leur présence est jugée dangereuse, pourvu qu’on leur donne un délai pour opérer leur retraite. Cette pratique internationale est déjà consacrée par les traités d’Utrecht et par un traité anglo-russe de 1766. En 1798, le congrès des États-Unis autorise le président John Adams à expulser les sujets ennemis dans les mêmes conditions, c’est-à-dire en leur laissant un délai pour qu’ils puissent mettre ordre à leurs affaires.

  1. Art. 6, 8 et 10 du traité du 27 juin 1858.