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d’émiettement. Le christianisme eût fini, au bout de trois ou quatre cents ans, comme le mithriacisme et tant d’autres sectes à qui il n’a pas été donné de vaincre le temps. La démocratie est quelquefois éminemment créatrice ; mais c’est à condition que de la démocratie sortent des institutions conservatrices et aristocratiques, qui empêchent la fièvre révolutionnaire de se prolonger indéfiniment. » Je ne puis m’empêcher de croire que l’influence de Rome n’ait été pour beaucoup dans cette transformation de l’église ; en vivant au milieu d’une société qui aimait par-dessus tout l’ordre, la régularité, la discipline, elle en prit naturellement le goût ; elle s’appliqua à elle-même ces qualités qu’elle entendait louer, qu’elle voyait pratiquer autour d’elle. Le premier écrit que nous ayons conservé d’un évêque de Rome, la lettre de saint Clément aux Corinthiens, vante surtout les mérites de l’obéissance : l’église est une armée ; il faut que le fidèle soit soumis à ses chefs, comme le légionnaire à ses centurions et à ses tribuns. « Considérez les soldats qui servent sous nos souverains ; avec quel ordre, quelle ponctualité, quelle soumission ils exécutent ce qui leur est commandé ! » Comme on sent que c’est un Romain qui parle ! Ces maximes seront désormais celles de toute l’église ; elles feront sa force, elles lui soumettront le monde, et c’est de Rome qu’elle les tient.

La première figure d’empereur que M. Renan rencontre sur son chemin, en nous faisant l’histoire des origines chrétiennes, est celle de Néron. Dans le portrait qu’il en a tracé, il s’est visiblement étudié à lui donner un relief extraordinaire. Il en fait une sorte de grotesque idéal. « Un dieu railleur, dit-il, paraissait l’avoir créé pour se donner l’horrible charivari d’une nature humaine où tous les ressorts grinceraient, le spectacle obscène d’un monde épileptique, comme doit être une sarabande de singes du Congo, ou une orgie sanglante d’un roi du Dahomey… Qu’on se figure un homme à peu près aussi sensé que les héros de M. Victor Hugo, un personnage de mardi gras, un mélange de fou, de jocrisse et d’acteur revêtu de la toute-puissance et chargé de gouverner le monde. » On voit aisément la raison qui a entraîné M. Renan à ces peintures énormes. Comme Néron était pour les chrétiens l’Antéchrist, il a voulu qu’on pût s’expliquer, en présence du personnage réel, les proportions qu’a prises le personnage légendaire. C’est une précaution inutile : les légendes naissent souvent sans raison. Il arrive plus d’une fois que les hommes ou les faits que transforme l’imagination populaire ne méritent pas cet honneur, et l’on est bien surpris, quand on peut remonter à la source de beaucoup de récits grandioses, de la trouver si médiocre et si mesquine. Le prince sur lequel s’est formé ce type de l’Antéchrist qui a troublé le repos de tant de générations d’hommes était un scélérat vulgaire. Sa cruauté n’est égalée que