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sans motif, des explications seront demandées par la voie diplomatique, et, si elles ne sont pas satisfaisantes, l’état lésé dans la personne d’un de ses sujets interviendra pour obtenir une réparation. L’abus ne pourrait se prolonger sans exciter un concert de plaintes et sans mettre dans une situation très fausse le peuple qui violerait, à ce point de vue, ses devoirs internationaux.

Par une conséquence logique, il n’y a pas lieu d’exiger du pouvoir exécutif qu’il motive ses arrêtés d’expulsion comme le pouvoir judiciaire motive ses arrêts. Quand notre préfet de police prit, le 4 août 1870, l’arrêté général dont j’ai déjà parlé, il l’expliqua, dans un « considérant » préalable, par les manœuvres auxquelles certains étrangers « se livraient contre la sûreté intérieure et extérieure de l’état. » Si l’on impose au gouvernement l’obligation de motiver dans tous les cas ces sortes de mesures, il les motivera souvent d’une manière aussi vague, et je demande ce que les étrangers y auront gagné. Il peut même advenir que, soit dans l’intérêt de l’expulsé, soit dans un intérêt général, il ne faille pas livrer au public le vrai motif de l’expulsion ; ne vaut-il pas mieux, dès lors, ne pas contraindre le gouvernement à s’expliquer? Enfin il serait absurde de conférer à une autorité quelconque le pouvoir d’annuler une semblable mesure pour insuffisance de motifs. L’arrêté peut être arbitraire et motivé, comme il peut être très légitime et non motivé. Dans ce dernier cas, nul ne peut se plaindre; dans le premier (mais seulement dans le premier) l’expulsé peut demander aide à sa nation et celle-ci peut, si le grief est sérieux, le faire valoir. Je n’exigerais pas même, comme le proposait, l’année dernière, David Dudley Field dans son projet de code international, qu’une nation ne pût expulser les membres d’une autre nation sans indiquer à celle-ci la cause spéciale de chaque expulsion. C’est subordonner, en principe, l’exercice d’un droit qui dérive de la souveraineté au contrôle d’un autre souverain, alors que ce contrôle ne peut être justifié que par la violation d’un devoir international; or la violation des devoirs internationaux ne se présume pas.

Bluntschli propose enfin de distinguer entre les étrangers qui résident temporairement dans un pays et ceux qui y ont établi un domicile fixe. Ceux-ci, dit-il (R. 383), « ont droit à la protection des lois au même titre que les nationaux. » C’est, à mon avis, aller trop loin, quoique la proposition ne soit pas dénuée de tout fondements. Il faut assurément distinguer entre l’étranger proprement dit et l’étranger admis par un acte de la puissance publique à établir son domicile dans le pays qui lui donne l’hospitalité. Il y a là, sans nul doute, une situation spéciale à laquelle des droits spéciaux peuvent être attachés. Cependant ces étrangers ne sont pas encore des nationaux, et je ne serais pas disposé, pour mon compte, à leur