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soient aussi simples que sobres, qu’on s’en tienne au strict nécessaire, tout en fournissant, à qui ne se contente pas de ce minimum toutes les facilités désirables pour compléter à sa guise son éducation. Vous supprimez le droit à l’ignorance, et vous avez raison, l’état comme les particuliers s’en trouveront bien. Mais que demande l’intérêt de l’état? Qu’il n’y ait plus d’illettrés ni d’esprits absolument incultes. Que demande l’intérêt des particuliers? Que tout enfant ait suivi pendant quelques années des leçons propres à lui former le jugement, à lui débrouiller les idées, à le pourvoir d’une somme de connaissances suffisantes, pour qu’il n’exerce sottement ni le métier manuel auquel il se destine, ni le métier de citoyen auquel la loi le convie. Après l’avoir contraint, rendez-lui sa liberté. Vous lui avez donné l’outil, tenez-vous-en là; c’est à lui de faire le reste, si le cœur lui en dit. Que si le cœur ne lui dit rien, vous devez vous en prendre à l’inévitable inégalité des intelligences et des volontés, c’est une règle de la nature contre laquelle les lois humaines ne prévaudront jamais.

Nous nous défions des programmes ambitieux. En lisant le livre fort intéressant, fort instructif que vient d’écrire M. Albert Duruy sur l’histoire de l’enseignement public pendant la révolution et qui contient beaucoup de leçons bonnes à méditer aujourd’hui, nous avons constaté que, par son décret du 27 brumaire an III, la convention ne comprenait parmi les matières d’instruction primaire que « la lecture, l’écriture, la Déclaration des droits de l’homme, les élémens de la langue française, les règles du calcul simple et de l’arpentage, quelques notions d’histoire naturelle, enfin la récitation des actions héroïques et des chants de triomphe. » Ce programme n’eût pas suffi à Lepelletier de Saint-Fargeau, qui désirait qu’on enseignât aux élèves des écoles primaires les principes du droit constitutionnel et de l’économie rurale et domestique. Condorcet, de son côté, voulait qu’on leur donnât des renseignemens « sur le droit naturel, sur la constitution, sur les lois anciennes et nouvelles, sur la culture et sur les arts, d’après les découvertes les plus récentes. » L’abbé Grégoire prétendait y ajouter « des instructions pour la conservation des enfans depuis la grossesse inclusivement. » Un autre conventionnel, Baraillon, n’admettait pas qu’on sortît de l’école sans y avoir acquis quelques notions de médecine « sur la menstruation, les couches et les suites de couches. » Il est vrai, comme le remarque M. Duruy, que Baraillon était médecin[1].

Nos législateurs n’ont pas introduit parmi les articles de leur programme d’enseignement primaire obligatoire la menstruation et les suites de couches; c’est une justice à leur rendre. Mais, moins modestes que la convention, ils ont décidé qu’outre l’histoire et la géographie,

  1. L’Instruction publique et la Révolution, par M. Albert Duruy, 1 vol. in-8o ; librairie Hachette, 1882, page 107.