Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celles qui, dans les liaisons où, d’ordinaire on s’abandonne, restent maîtresses d’elles-mêmes. Elle pratiqua en perfection l’art qui donne aux femmes leurs succès les plus surs : elle sut résister et céder à propos. C’est ainsi qu’elle enflamma Néron et obtint de lui l’exil et la mort de sa femme. Ce qui répugne le plus en elle, c’est qu’elle n’usa du pouvoir que lui donnait sa beauté que pour perdre les honnêtes gens. On avait remarqué que, quand Néron s’enfermait avec elle et Tigellin, c’était toujours pour comploter quelque assassinat : sœvienti principi intimum consilium. Il est vrai qu’elle protégeait les Juifs ; mais elle aimait aussi les astrologues, et, pour lui pardonner d’avoir été débauchée et cruelle, il ne suffit pas de montrer qu’elle était en même temps superstitieuse.

M. Renan passe assez rapidement sur la dynastie flavienne, dont les rapports avec le christianisme sont fort obscurs. Il insiste davantage sur les Antonins. On sent qu’il est parfaitement heureux quand le cours de son histoire l’amène à ces honnêtes gens qui donnèrent un siècle de bonheur au monde, et il parle d’eux avec un grand charme. Il nous fait bien comprendre le caractère nouveau que prit alors le gouvernement de l’empire. Avec Nerva, l’opposition arriva au pouvoir, et, ce qui est assez rare, elle accomplit ses promesses et réalisa son programme. Ce qui prouve qu’elle n’était pas formellement républicaine, c’est qu’elle n’essaya jamais de rétablir la république. Elle se contenta de faire entrer, autant qu’il était possible, dans l’empire ce que la république avait de meilleur, ce qui pouvait s’en conserver sans trop altérer les institutions nouvelles. Tacite a résumé son programme dans cette phrase célèbre, où il dit de Nerva : Res olim dissociabiles, principatum et libertatem, miscuit. Ce mélange du principat et de la liberté, cet avènement de l’empire libéral, qui a été si souvent ailleurs une déception, devint alors une vérité. Au sommet, un pouvoir fort, incontesté, presque illimité en droit, mais qui a pour limite le respect de l’opinion, et qui se distingue surtout du pouvoir royal en ce qu’il se transmet plutôt par l’adoption que par l’hérédité, sorte de magistrature civile et à vie, comme les républiques anciennes en avaient souvent imaginé de pareilles pour se sauver de l’anarchie, dans les momens troublés de leur existence ; au-dessous, un corps politique, composé de toutes les notabilités de l’empire, consulté par le prince dans toutes les affaires graves, qui nomme directement à une partie des fonctions publiques, qui siège, comme cour de justice, dans les procès importans où la politique est mêlée ; puis, une hiérarchie de fonctionnaires qui avancent d’après des règles fixes ; à tous les degrés, l’obéissance aux lois, le respect des traditions, le dévoûment au pays : voilà ce qui paraissait alors aux esprits les plus exagérés l’idéal d’un