Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la partie sertie entre les trois lignes : Enfoncé le bourgeois ! C’était bien là, en effet, le système qui allait essayer de se fonder en s’étayant sur l’armée, sur le clergé, et sur la démocratie, au détriment de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la classe censitaire qui avait gouverné la France pendant le règne de la dynastie de juillet, qui avait essayé de ressaisir le pouvoir après la révolution de lévrier, et qui croyait bien avoir fait un coup de maître lorsqu’elle vota la loi du 31 mai 1850, en vertu de laquelle, tout en conservant son nom, le suffrage universel n’était plus que le suffrage restreint.

Depuis que la politique est devenue, — sans métaphore, — un champ de bataille, depuis que, le bulletin de vote ne suffisant plus à l’impatience des ambitions, on a recours au fusil, au canon et même au pétrole, il est bien difficile d’éprouver quelque intérêt pour les vainqueurs et de garder quelque commisération pour les vaincus. Un seul fait est à retenir : la dureté de la répression, la sévérité du vainqueur. Après juin 1848, après décembre 1851, proscriptions et internement en Algérie. Des gouvernemens issus d’origine différente, appuyés sur des principes dissemblables, usent des mêmes procédés et se les reprochent. J’avais beau ne pas me mêler de politique et rester en dehors du choc des partis, je n’en étais pas moins stupéfait en voyant les hommes que l’on poussait hors de la frontière. Quoi ! Thiers, Duvergier de Hauranne, Charles de Rémusat! à quoi bon ces rigueurs inutiles et sur lesquelles on allait être obligé de revenir? Et Victor Hugo ! quel deuil pour ceux qui l’admiraient ! quelle imprudence pour ceux qui le chassaient et lui mettaient en main la plume des Châtimens ! « N’offense pas les poètes vivans! a dit Henri Heine ; ils ont des flammes et des traits qui sont plus redoutables que la foudre de ce Jupiter qui lui-même a été créé par les poètes ! »

J’avais été une fois à l’Elysée avant le coup d’état, je n’y retournai plus ; la presse était grande pour y entrer ; on s’y étouffait. Vaincu, le président eût été traqué comme un loup ; vainqueur, il devenait un sauveur, un héros, un génie. Quelques enthousiastes anticipés disaient : « Il est plus fort que son oncle! » Le fait était le même cependant devant la morale: pour elle, il n’y a ni vainqueurs ni vaincus, il y a des innocens ou des coupables, car le succès et la défaite restent extérieurs à l’action même. Les sages vivent en dehors de ces événemens et ils ont raison ; ils sont certains du moins de ne pas être entraînés avec la foule ni à des applaudissemens ni à des anathèmes immérités ; ils se rappellent le mot de Roger Bacon : « Ce qui est approuvé du vulgaire est nécessairement faux. » Il me semble que le despotisme n’est pas, ne peut pas