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reprochent au christianisme de n’être pas assez pratique et d’avoir trop de dédain pour les choses réelles, et c’est au contraire ce qui charme en lui M. Renan. Tandis qu’il se méfie de « la main froide » de l’état, qu’il redoute sa tyrannie, qu’il lui refuse toute intervention dans les croyances, ils l’invitent et l’appellent à prendre part aux discussions religieuses ; ils prétendent défendre ses intérêts, ils parlent en son nom, ils veulent accroître son rôle. Leur rêve serait de créer une sorte d’athéisme d’état, qui jouirait des mêmes droits que l’ancienne orthodoxie et s’imposerait de la même manière. M. Renan est resté respectueux pour les croyances qu’il ne partage plus ; il continue à en comprendre, à en admirer la grandeur et la poésie ; il leur est reconnaissant des sentimens généreux qu’elles ont inspirés, des espérances qu’elles donnent, des douleurs qu’elles consolent ; il croit que rien ne pourrait remplacer « ces grandes écoles de sérieux et de respect, telles que Saint-Sulpice, et le ministère de dévoûment des filles de la charité. » Eux sont animés contre le christianisme d’une haine furieuse ; ils ne dissimulent pas leur pensée, qui est de le détruire, et non pas lui seul, mais toute religion avec lui. Leur idéal, si l’on peut ainsi parler, est d’arriver à l’anéantissement de tout idéal, c’est-à-dire à un état où l’homme absorbé par la vie ne regardera rien au-delà d’elle et tracera autour de sa pensée un cercle qu’il lui sera défendu de franchir. Il n’y a rien au monde qui répugne plus à M. Renan. Comment pourrait-il souffrir d’être enfermé dans une prison plus rigoureuse que celle où la vieille théologie nous a si longtemps retenus ? On voudrait lui défendre de sortir du réel, et ce sont précisément les mystères de l’inconnu et les problèmes de l’infini qui retirent. Sans doute il a une manière très large et fort libre de concevoir la religion qui n’est assurément pas celle des gens qui sont enchaînés à un culte et asservis à un symbole ; mais il ne comprend pas qu’on puisse imaginer un temps où l’humanité se passera tout à fait de religion. C’est une opinion sur laquelle il n’a jamais varié. Il disait, dans la préface de la Vie de Jésus : « Malheur à la raison le jour où elle étoufferait la religion ! .. Ne dites pas qu’il faut supprimer un rouage qui ne fait en apparence que contrarier le jeu des autres. La nature, qui a doué l’animal d’un instinct infaillible, n’a mis dans l’humanité rien de trompeur : de ses organes vous pouvez hardiment conclure sa destinée. Est Deus in nobis. Fausses quand elles essaient de prouver l’infini, de le déterminer, de l’incarner, si j’ose dire, les religions sont vraies quand elles d’affirment. Les plus graves erreurs qu’elles mêlent à cette affirmation ne sont rien comparées au prix de la vérité qu’elles proclament. Le dernier des simples, pourvu qu’il pratique le culte du cœur, est plus