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chez nous un vaisseau à trois ponts. Depuis 1865, les États-Unis n’ont obéi qu’à une pensée : amortir leur dette en augmentant leurs droits de douane et en réduisant leurs dépenses. Forts de la sécurité que leur donne leur isolement, ils ont pu sans danger négliger les exigences de l’armement national. Mais aujourd’hui que leur but est en partie atteint et qu’ils se sont accoutumés à voir, à tort ou à raison, dans le maintien de tarifs élevés un moyen de développer leur industrie, une certaine opinion vague commence à se répandre qu’il y aurait lieu peut-être d’appliquer les excédens de recette dont ils disposent à la reconstruction de leur armement. Cette résurrection de la puissance militaire des États-Unis aurait pour conséquence inévitable, sinon pour but, une intervention plus active des États-Unis dans les affaires concernant les autres pays, non point, quant à présent du moins, dans celles du vieux monde, the old world, comme ils nous appellent (après tout c’est bien leur droit, puisque nous les appelons le nouveau), mais tout au moins dans celles du continent américain tout entier, en particulier dans les régions de l’Amérique du Sud, où ils rencontreront des intérêts européens, et peut-être un jour dans celles du Japon et de la Chine, où ils feront même rencontre.

Cette tendance que je signale est encore en quelque sorte à l’état latent et peut-être se passera-t-il quelques années avant qu’elle éclate au jour. Elle n’est encore affichée dans le programme d’aucun parti, et celui dans la plate-forme duquel elle figurerait ne ferait que se compromettre. Mais si jamais il en est un qui adopte le programme d’une action extérieure plus énergique de la part des États-Unis et qui le soumette au suffrage universel, ce ne pourra être, il me semble, que le parti républicain. Les partisans d’un pouvoir fédéral fort et bien outillé peuvent seuls, en effet, rêver pour ce pouvoir une action diplomatique constante et énergique ; pareille prétention serait, au contraire, difficilement conciliable avec ce minimum d’autorité auquel les démocrates voudraient réduire le pouvoir central. L’Europe n’est donc pas tout à fait aussi désintéressée dans cette querelle entre républicains et démocrates que de loin on pourrait le croire, et il ne serait pas impossible que, d’ici à quelques années, il ne fallût compter avec l’Amérique dans des questions que les puissances européennes sont accoutumées à régler entre elles.

Si cette question de la politique extérieure des États-Unis est une de celles qui pourront diviser un jour, dans un avenir plus ou moins lointain, les républicains et les démocrates, il y a, par contre, un point sur lequel les deux partis sont et seront toujours pleinement d’accord, c’est pour maintenir haut et ferme le principe posé par Monroe il y a soixante ans : l’Amérique aux Américains. Ce qu’on a appelé pendant longtemps la doctrine de Monroe est aujourd’hui la