Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de plus noires inimitiés encore ! Le voici qui, sous les traits d’Arnolphe, fait à la soumise Agnès un ample et mirifique discours sur les devoirs du mariage et la condition subalterne où gît la femme en la société; et du côté de la barbe il fait intervenir le Tout-Puissant. À ce discours, aux Maximes qui le suivent, on murmure dans des coins où nous n’avions vu personne encore ; il se révèle là des effarouchemens pieux et les mains ne se contentent plus de se lever au ciel, j’en vois qui esquissent des signes de croix. « Cela est choquer nos mystères, c’est jouer la religion même. » Et, au baisser du rideau, la division se marque plus vive entre le commun des spectateurs, que ravissent les amours d’Agnès, et qui tient à la voir échapper à son becque-cornu, et la cabale des auteurs jaloux et des précieuses outragées, où se joignent à présent les dévots scandalisés.

— Il a pillé Scarron, dit un poète.

— Straparole, ajoute un érudit.

— Dorimon, renchérit un autre.

— Qu’est-ce là, Dorimon?

— Vous ne connaissez pas Dorimon, l’auteur de cette pièce de l’an passé, l’École des cocus? C’est un de nos bons esprits.

— Il les pille tous. Il a acheté à la veuve de Guillot-Gorju toute une valise de manuscrits ; c’est de là qu’il tire ses pièces.

— Vous en êtes sûr?

— Je le tiens de M. Saumaise.

— Tout cela n’est que plate bouffonnerie ; si ce genre triomphe, tout est perdu ; nous allons devenir l’opprobre des humains.

— C’est un athéiste; il drape les dix commandemens ; il mettra demain en scène les sept péchés mortels.

— On en a brûlé pour moins que cela !

— Et Monsieur patronne cette troupe !

— Oh! il est censé leur faire une pension... mais il ne la paie jamais.

— Holà! silence! crie le parterre, on a commencé.

Et c’est encore Molière ou Arnolphe, rongeant son frein, crossant du pied, jetant de pitoyables soupirs; et à chacune de ces inflexions plaisantes et de ces brusques changemens d’intonation où excelle l’acteur et que ses rivaux traitent d’affectation, le rire soulevé gagne du parterre aux galeries. Ce Molière a d’inimitables jeux de physionomie qui le font aussi divertissant lorsqu’il écoute que lorsqu’il parle; pendant les confidences, ou d’Agnès ou d’Horace, observez ses traits qui se chargent, ses yeux qui roulent, ses sourcils qui se joignent et qui parafent son front de cent hiéroglyphes, tous signifiant corquaige, comme s’il se sentait vraiment cornes pousser. Ce sera pis et mieux encore tout à l’heure, dans cette merveilleuse