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douce ne saurait être condamnable. Car le mal, c’est ce qu’on fait avec peur. Elle n’a pas eu peur du tout.

Il y a bien le... ruban. Elle hésite à l’avouer. Pourquoi? Ah! c’est que là, vraiment, elle craint un peu d’avoir mal agi. Ce ruban, c’est Arnolphe qui lui en avait fait présent, et Agnès sait que ce n’est pas bien de donner à d’autres les présens qu’on nous fait. Tout ce qu’elle ne tient pas d’Arnolphe, elle l’aurait laissé prendre et n’eût pas cru qu’il en dût être mécontent.

Mais voilà qu’il s’emporte ; il lui fait une peur horrible de Dieu et du diable; elle est consternée. Comment ce qui ne laisse aucun trouble au cœur serait-il un péché ? Comment, surtout, ce qui est un crime avec Horace, qui est si bien fait et si tendre, peut-il être un devoir avec Arnolphe, qui est si fâcheux de mine et de discours? Elle sent qu’on ne lui dit pas tout : elle perd confiance. Elle a été plus d’une fois surprise des gros rires de cet homme à certaines questions qu’elle lui faisait, comme celle des enfans, vous savez? et il lui a fait éprouver ce sentiment des écoliers qui surprennent leur maître en flagrant délit. C’est un terrible juge que l’innocence, Agnès juge Arnolphe, et elle est d’autant plus sévère, qu’ignorante comme il l’a laissée, elle ne peut lui connaître de circonstance atténuante. Elle ne sait pas combien il souffre, et quand il essaie de le lui faire comprendre, c’est si extravagamment, c’est en forçant si grossièrement la note qu’elle a beau l’écouter, de la meilleure foi du monde, elle ne le croit pas, et elle le lui dit : Horace avec deux mots ferait cent fois plus que lui, parce que Horace serait naïf, parce qu’il laisserait, comme elle, son cœur aller tout nu, parce qu’elle croirait Horace! Pour Arnolphe, c’en est fait; elle est sûre qu’il l’a trompée; elle est dans une ombre qu’elle lui reproche, parce que c’est lui qui l’a faite et que ceux qui font l’ombre ont de mauvais desseins; et elle va tout naturellement du côté où elle entrevoit protection et lumière, comme les fleurs dans les caves montent vers le soupirail, vers le soleil, vers l’amour.

Relisez sa lettre à Horace.

Je ne la veux gâter par aucun commentaire; je le demande seulement, quel est le malheureux qui ne se sentira touché par cette prière d’un amour à tâtons, mêlé de craintes et d’abandonnemens, et qu’elle exprime l’un ou l’autre, si franche et si simple dans son expression? Et n’était-ce pas un crime, en effet, punissable que d’avoir


... Dans l’ignorance et la stupidité
Voulu de cet esprit étouffer la clarté?


Pour moi, je le déclare, je suis ravi que la pauvrette se défende, qu’elle ait cette noire ingratitude des esclaves qui consiste à se